L'artiste qui explore les limites de l'inerte et du vivant

Le certificat d'aptitude d'Abraham Poincheval

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Publié le 27/03/2017
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Crédit photo : AFP

Ce 29 mars, Abraham Poincheval commencera la couvaison d'œufs de poule. Soit 21 à 26 jours à rester assis ou allongé dans un vivarium, recouvert d'un manteau traditionnel coréen, à attendre que le vivant surgisse.

La performance est métaphysique. « Qu’un homme couve des œufs m’intéresse parce que cela pose la question de la métamorphose et du genre. Ce sont des énonciations très précises qui peuvent tout à coup devenir poreuses, s’éroder, se transformer », explique l'artiste.

Du 22 février au 1er mars, Abraham Poincheval avait expérimenté un voyage dans l'immobilité d'une pierre calcaire. Un vrai défi physique et psychique, explique au « Quotidien » le Dr Éric Ozanne, à qui le Palais de Tokyo avait confié la surveillance médicale de la performance.

Risque de phlébite et d'embolie

« Nous nous sommes vus plusieurs fois avant "Pierre" », confie le Dr Ozanne qui a prescrit à Abraham Poincheval un examen médical complet, avec bilan sanguin, électrocardiogramme, échographies, « un peu comme on le fait avec les grands sportifs ».

Le choix des vêtements de l'artiste a fait l'objet d'un dialogue avec le médecin, qui a recommandé des bas de contention, « car le seul danger était l'immobilité, c'est-à-dire le risque de phlébite et donc d'embolie pulmonaire », estime le Dr Ozanne. Des coussins anti-escarres ont été positionnés au niveau des points d'appui, et des capteurs à l'intérieur et à l'extérieur de la pierre permettaient une surveillance quotidienne de la température (moins de 23, 24 °C dedans) et de l'hydrométrie. Abraham Poincheval portait un capteur de sat, pour surveiller sa saturation sanguine en oxygène et son pouls, et pouvait régler le débit d'air qui rentrait dans la pierre. « Nous l'avons suivi tous les jours, à travers les capteurs, mais aussi en nous rendant sur place, ne serait-ce que pour vérifier son état psychologique », raconte le Dr Ozanne.

Le médecin contrôlait aussi ses entrées de liquide et sorties d'urine, pour « être sûr qu'il s'hydrate suffisamment ». « Au début, j'ai même augmenté les quantités de liquide à sa disposition. Il buvait selon son ressenti, d'un à presque deux litres par jour ». L'artiste se sustentait de soupes, de bœuf séché, et de café qui s'autochauffe, « pour le plaisir », sourit le Dr Ozanne.

Une performance non délirante

« Il s'agit d'une performance, et non d'un délire », assure le médecin qui qualifie l'artiste d'éminemment équilibré et cohérent. « À aucun moment lors de la préparation, je ne me suis posé la question d'une crise de panique ; il n'y a en a pas eu », indique-t-il. L'artiste n'en est pas à son premier isolement. En 2014, il avait hiberné 13 jours dans « La peau d'un ours », au musée de la chasse et de la nature de Paris. En 2015 il a remonté le Rhône de Lyon jusqu'en Suisse dans « La bouteille ». L'année suivante, inspiré par les ermites chrétiens du IV et V siècle, il passe deux fois deux semaines à Rennes et Paris sur une plateforme de 1,6 x 1 mètre, perché dans les airs, comme une « Vigie ».

Au sortir de son rocher, Abraham Poincheval était ankylosé. « Un kinésithérapeute l'a examiné et mobilisé doucement, puis lui a indiqué les mouvements à faire les prochains jours ». L'artiste était sur pied le soir même. Puis est parti en vacances.

Pour « Œuf », Abraham Poincheval pourra bouger dans sa cage : « il y a donc très peu de risques », assure le Dr Ozanne. De mémoire de médecin aéronautique, il reconnaît n'avoir jamais eu à gérer de telles expériences… qu'il rapprocherait volontiers de l'aventure « Solar Impulse ». 

Coline Garré

Source : Le Quotidien du médecin: 9567