Le « Journal » (1890-1945) du compositeur est publié

Reynaldo Hahn, la Belle Époque

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Publié le 10/02/2023

Avec son bandeau « Le musicien de Marcel Proust », le Journal de Reynaldo Hahn, enfin édité, rappelle, au moment où son œuvre musicale est en pleine réhabilitation, que sa personnalité est loin de se résumer à cette formule publicitaire.

Reynaldo Hahn par Nadar, 1898

Reynaldo Hahn par Nadar, 1898
Crédit photo : DR

Un peu plus d’un an après la publication chez Fayard de sa biographie de Reynaldo Hahn (1874-1947), monument de plus de 700 pages, Philippe Blay édite, sous la direction de Jean-Yves Tadié, biographe de Marcel Proust, une anthologie du Journal que le musicien a tenu entre 1890 et 1945 (Gallimard, coll. Blanche, 416 p., 28 €). Conservateur en chef à la Bibliothèque nationale de France, Philippe Blay a, depuis son mémoire de maîtrise sur  « La Musique de Vinteuil dans l’œuvre de Marcel Proust » (1983), consacré ses recherches à ce compositeur d’origine vénézuélienne, naturalisé français en 1907.

« Il faut se méfier, quand on tient un journal, de rédiger certaines impressions comme si elles étaient des certitudes, de donner à des hypothèses fugitives un air d’aphorisme. Car il arrive qu’à la longue on apparaisse au lecteur comme un esprit changeant, contradictoire, désordonné. » Reynaldo Hahn se tient à cette ligne et rien dans son journal n’accuse une pensée péremptoire, laissant le plus souvent place à l’analyse rationnelle des faits. Il y exprime sans détour ses goûts musicaux et ses fascinations littéraires et met dès son début le journal sous le signe symbolique du conte de fées : « Pourtant c’est bon un journal ; c’est le tracé des cailloux du Petit Poucet. Bien des projets, bien des rêves irréalisés y subsistent par un mot et l’on retrouve en feuilletant ces pages confidentes la clef de bien des paradis. »

Le Journal ne se veut pas le reflet de sa vie privée mais plutôt de sa vie mondaine, qui, grâce à la fortune et la position sociale proéminente de sa famille dans la vie parisienne de cette fin du Troisième Empire, a fait de lui un acteur et témoin privilégié des derniers grands salons musicaux, littéraires et artistiques qui existaient à Paris et dont Marcel Proust s’est abondamment nourri pour « À la recherche du temps perdu ». La vie personnelle, affective, amoureuse de l’auteur n’est évoquée qu’en filigrane. Une grande part est réservée aux événements de sa vie professionnelle et des charges qui ont été les siennes entre les deux guerres, comme son élection à l’Académie des Beaux-Arts et son directorat de l’Opéra de Paris. Autres témoignages précieux, les récits de sa proximité avec quelques grandes figures de la Belle Époque. Principalement la tragédienne Sarah Bernhardt, pour laquelle il avait une admiration démesurée et de qui il a été très proche ; et les compositeurs Camille Saint-Saëns et surtout Jules Massenet, dont il a été l’élève particulier en composition et avec la famille duquel il a développé des relations quasi filiales.

À Paris en avril

Quelques trop rares réflexions mélancoliques émaillent ces pages, souvent fulgurantes, comme « Le plaisir que donne l'amour ne vaut vraiment pas le bonheur qu'il détruit » noté en novembre 1895 et s’appliquant de façon évidente à l’amertume laissée par la rupture avec Proust. Ces belles pensées philosophiques viennent à l’encontre de l’idée reçue et tenace d’une personnalité superficielle et mondaine. On sort de ce journal persuadé du contraire, impression corroborée par la lecture hautement recommandée en parallèle de la biographie de Philippe Blay, somme magistrale et définitive pour explorer la personnalité complexe et fascinante de ce musicien. Beaucoup aujourd’hui le découvrent et le placent à un rang mérité. On en jugera au printemps avec « Ô mon bel inconnu », sa comédie musicale d’après Sacha Guitry dans laquelle triompha Arletty : créée à l‘Opéra de Tours en décembre dernier, elle sera à l'affiche en version scénique avec l'Orchestre des Frivolités parisiennes, au Théâtre de l’Athénée du 7 au 16 avril, dans une production du Palazzetto Bru-Zane, qui en a publié l’enregistrement.

Olivier Brunel

Source : Le Quotidien du médecin