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Dossier

Exercice professionnel

Messageries sécurisées de santé : booster les usages des médecins

Publié le 18/10/2021
Messageries sécurisées de santé : booster les usages des médecins


mrmohock - stock.adobe.com

Les médecins libéraux sont, depuis 2016, incités à utiliser une messagerie sécurisée de santé. Si un nombre croissant de praticiens disposent aujourd’hui d’une MSS, les usages, en particulier pour les généralistes, sont encore peu développés. Le Ségur numérique et le déploiement de Mon espace santé devraient accélérer cette utilisation par les professionnels de santé en ville.

C’est en juin 2013 que les premières messageries sécurisées de santé (MSS) des ordres professionnels, dont celui des médecins, sont lancées. L’objectif est de permettre aux professionnels de santé libéraux d’envoyer et de recevoir par mail des données de santé en toute sécurité et dans un cadre légal. Ces mails sont échangés au sein de l’Espace de confiance MSSanté, qui comprend notamment un annuaire national MSSanté s’appuyant sur le répertoire partagé des professionnels de santé (RPPS) et une « liste blanche » des opérateurs dont les domaines de messagerie sont autorisés à échanger des données dans l’Espace de confiance MSSanté.

Huit ans après, quel est le bilan ? Selon l’Agence du numérique en santé (ANS), MSSanté rassemble plus de 350 opérateurs (opérateurs établissements de santé, opérateurs régionaux, opérateurs tiers industriels comme Apicem/Apicrypt et opérateur Mailiz proposé par les Ordres professionnels et ANS) qui peuvent tous communiquer entre eux. Pour autant, la moitié seulement des professionnels de santé libéraux – 62,7 % des médecins libéraux en août 2021 –, 67 % des établissements de santé, 63 % des laboratoires de biologie médicale et 34 % des Ehpad (établissements d’hébergement des personnes âgées dépendantes) sont équipés d’une MSS. Et, durant le mois d’avril 2021, si plus de 7 millions de messages ont été émis via les MSS, 12 % ont été transmis par les libéraux, 27 % par les établissements de santé, 10 % par les laboratoires et 51 % par d’autres émetteurs comme les établissements médico-sociaux et les autorités sanitaires (par exemple les DGS-urgents).

Si plus de 7 millions de messages ont été émis via les MSS au mois d'avril 2021, 12 % ont été transmis par les libéraux - ANS

Des usages encore limités

Au vu de ces chiffres, l’utilisation des MSS par les libéraux paraît donc encore peu déployée. Certes, le taux d’équipement a augmenté : en février 2018, 42,3 % des médecins avaient ouvert une boîte MSSanté. En plus de trois ans, ce taux a progressé de 20 points. Cette hausse est due en particulier au forfait structure mis en place en 2016 par la convention médicale afin de favoriser l’informatisation des cabinets médicaux. « Cela a été un levier », reconnaît Anne Lorin, responsable de mission à la direction Territoires et Expérience clients de l’ANS.

Jean-Christophe Nogrette, secrétaire général adjoint de MG France, partage cet avis mais nuance : « Est-ce que les médecins utilisent leur MSS ? Pas tellement. Ils travaillent surtout avec leur messagerie ordinaire et des messageries instantanées comme WhatsApp. La crise sanitaire nous a donné un grand exemple de ce type d’utilisation : beaucoup de professionnels de santé libéraux ont créé des groupes WhatsApp pour échanger durant cette période. » Et d’ajouter : « Afin de garantir la sécurité des échanges et des données, notre syndicat alerte les médecins pour qu’ils utilisent des MSS, mais il faut être réaliste sur l’usage de ces messageries. »

Afin de garantir la sécurité des échanges et des données, notre syndicat alerte les médecins pour qu’ils utilisent des MSS, mais il faut être réaliste sur l’usage de ces messageries - Jean-Christophe Nogrette, secrétaire général adjoint de MG France

De fait, plusieurs éléments sont avancés afin d’expliquer le faible emploi des MSS par les médecins, en particulier généralistes. Le premier est le manque d’ergonomie des logiciels et des MSS. Par exemple, le médecin qui est obligé de quitter son logiciel métier pour ouvrir sa MSS ne va pas être incité à utiliser cette dernière. « La plupart des éditeurs de logiciels ont intégré une messagerie sécurisée de santé », remarque néanmoins Dany Huppenoire, vice-président « Collège médecins » de la FEIMA (Fédération des éditeurs d’informatique médicale et paramédicale ambulatoire) et directeur général de Cegedim Logiciels médicaux.

Le deuxième point soulevé par les médecins est celui des adresses mail. « La problématique est d’avoir la bonne adresse du médecin à qui l’on envoie des documents. Si celui-ci change de messagerie, nous ne sommes pas assurés qu’il reçoive les documents », observe Dr Luc Duquesnel, président du syndicat Les Généralistes-CSMF. D’où l’utilisation accrue de Lifen, une plateforme e-santé déjà très implantée dans les établissements de santé et qui aurait l’annuaire de professionnels de santé le plus complet (voir encadré). Autre reproche à l’encontre des MSS : leur manque de rapidité. « Par rapport aux messageries ordinaires ou instantanées, les MSS sont lentes parce qu’elles sont justement sécurisées. Et ce n’est pas toujours pratique, note Dr Jean-Christophe Nogrette. Nous avons besoin de fluidité pour pouvoir échanger très rapidement et facilement, par exemple avec une infirmière au domicile d’un patient dont l’état nécessite un avis, une adaptation de traitement ou une ordonnance. »

Enfin, le traitement automatique des documents reçus par une messagerie sécurisée dans les dossiers patients n’est pas forcément possible. « Aujourd’hui, le principal usage des MSS pour les médecins est la réception des résultats transmis par les laboratoires de biologie en format HPRIM et parfois les comptes-rendus d’hospitalisation. Pour développer les usages des MSS entre professionnels de santé mais aussi entre établissements de santé et médecins libéraux, les MSS doivent transmettre des messages contenant aussi des informations techniques, formatées et structurées permettant le rangement et l’exploitation des documents. Les messageries doivent donc être interopérables et les logiciels métiers permettre un traitement automatique des documents grâce à une norme d’identification du patient », explique ainsi Dany Huppenoire.

Le Ségur numérique, un levier important

Le développement des usages dépend donc de celui des outils, MSS et logiciels métiers. « C’est l’outil qui génère l’utilisation », résume d’ailleurs Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF. « Les pouvoirs publics doivent fournir des outils pratiques, rapides et fluides », abonde Anne Lorin. Tous les acteurs sont, en effet, d’accord sur l’intérêt des MSS. « L’exercice coordonné nécessite des échanges traçables entre professionnels de santé et nous devons utiliser une MSS », souligne Dr Luc Duquesnel. « Il est indispensable d’aller vers une dématérialisation des échanges. Les courriers postaux commencent à appartenir au passé », remarque Dr Jean-Paul Ortiz. Anne Lorin met aussi en exergue la cybersécurité des échanges de données de santé et le danger d’utiliser des messageries non sécurisées. La multiplication des cyber­attaques visant laboratoires de biologie et hôpitaux montre effectivement les risques en matière d’informatique dans le secteur de la santé.

Afin de mieux répondre aux besoins des médecins, l’ANS et les éditeurs planchent sur plusieurs sujets. Et le Ségur du numérique devrait être un levier important pour accélérer le virage numérique. L’État investit en effet 2 milliards d’euros pour la e-santé. La médecine de ville est bien entendu ciblée. Ainsi, le Ségur prévoit un financement pour les éditeurs qui reprennent les dossiers de spécifications de référencement (DSR) nécessaires au développement et à l’implémentation de certaines fonctionnalités comme l’INS (identité nationale de santé) et la norme CDA (Clinical Document Architecture – architecture de document clinique), essentiels au traitement automatisé des documents reçus par MSS. Ce travail d’implémentation par les éditeurs est en cours. En outre, le Ségur prévoit en 2022 un financement de l’équipement logiciel des médecins libéraux en exercice individuel ou en cabinet de groupe, et des maisons de santé pluriprofessionnelles et centres de santé, via les éditeurs. En fait, c’est la prestation de l’éditeur qui sera prise en charge par l’État, sous réserve de remplir certaines conditions et exigences techniques.

Par ailleurs, la connexion des opérateurs actuels aux logiciels métiers grâce à une même interface technique devrait aussi jouer pour une plus grande utilisation des MSS. « Les opérateurs disposent d’un cahier des charges permettant de mettre en place cet interfaçage, mais ce cahier des charges ne leur est pas opposable et chaque éditeur doit donc développer autant d’interfaçages que d’opérateurs. Afin d’accélérer le virage numérique, l’ANS travaille à des spécifications opposables aux opérateurs », relève Dany Huppenoire.

Les éditeurs s’intéressent également de près aux messageries instantanées. « La messagerie instantanée répond plus à un besoin d’échanger dans l’urgence. Cela peut être très intéressant dans le cadre de la coordination des soins. Par exemple, une infirmière envoie une photo à un généraliste ou un pharmacien envoie un message pour vérifier un élément dans une prescription, détaille Dany Huppenoire. La messagerie instantanée doit cependant être intégrée au logiciel métier. Les éditeurs commencent à développer ce type de messageries. Cegedim propose déjà une messagerie instantanée intra-cabinet avec Maiia qui comptabilise plus de 300 000 messages échangés, et prévoit d’en accélérer fortement l’usage d’ici la fin de l’année. » Certains éditeurs ont également développé des MSS accessibles sur les smartphones. La MSS Mailiz dispose ainsi d’une application mobile.

Une messagerie pour les patients

Surtout, l’ANS et les pouvoirs publics comptent sur Mon espace santé, qui fait partie du Ségur numérique, pour booster les usages des MSS. C’est en effet dans le cadre de cet espace, qui sera créé pour chaque assuré de l’Assurance maladie, que les médecins pourront alimenter les dossiers médicaux partagés (DMP) mais aussi échanger avec leurs patients via la messagerie citoyenne, une MSS pour les patients. « C’est le professionnel qui initiera le premier message vers son patient pour lui envoyer des résultats ou une ordonnance », précise Anne Lorin.

Pour l’heure, Mon espace santé avec le DMP et la messagerie citoyenne est expérimenté dans trois départements : la Haute-Garonne, la Loire-Atlantique et la Somme. 4 millions d’assurés ont reçu ou vont recevoir une notification pour activer leur espace. « Les professionnels de santé qui participent à cette expérimentation dans les départements pilotes pourront nous faire des retours d’expériences », complète Anne Lorin. Le but est de pouvoir ajuster les outils.

Cependant, cette idée d’échanges avec les patients grâce aux MSS ne semble pas enthousiasmer les médecins. « Il faut du temps et je ne me vois pas passer tous les soirs une heure à correspondre par mail avec mes patients, déclare Luc Duquesnel. Déjà, nous recevons de nombreux appels. Comment allons-nous faire avec des mails ? À moins d’avoir un secrétaire ou un assistant médical qui pourra faire le tri comme c’est le cas pour les appels des patients. » Pourtant, l’avenant 9 de la convention médicale, signé le 30 juillet 2021, prévoit dans le volet 2 du forfait structure (optionnel) qu’en 2022, les médecins percevront 280 euros s’ils utilisent, dans au moins 5 % de leurs consultations, une MSS pour échanger avec les patients dans leur espace numérique santé.

Les médecins s’empareront des MSS lorsqu’elles seront interopérables et offriront aux usagers la portabilité de leurs données afin de pouvoir changer de messagerie - Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF

Pour Dr Jean-Paul Ortiz, les médecins s’empareront des MSS lorsqu’elles seront interopérables et offriront aux usagers la portabilité de leurs données afin de pouvoir changer de messagerie. Quoi qu’il en soit, le développement des usages dépend avant tout de l’émission de documents. Or, tous les interlocuteurs s’accordent sur ce point : les médecins généralistes reçoivent plus de données (résultats d’analyses, comptes-rendus d’hospitalisation ou d’opération, lettres de médecins spécialistes après adressage d’un patient…) qu’ils n’en émettent. Reste qu’il vaut mieux recevoir ces données de façon sécurisée.

Magali Clausener