Nul besoin de s’éloigner de Paris pour trouver un désert médical. À 1 h 30 de la capitale en train, le canton de Montargis, sous-préfecture du Loiret, voit partir chaque année ses généralistes à la retraite, souvent non remplacés. Le département est l’un des plus sous-dotés de France, en deuxième position avec la Nièvre derrière la Seine-et-Marne, selon le dernier Atlas de l’Ordre. Le Loiret compte seulement 90 généralistes pour 100 000 habitants, soit 30 médecins de moins que la moyenne nationale. Face à ce constat alarmant, le député du Loiret, ex-maire de Montargis et cardiologue Jean-Pierre Door, a fait le pari de la médecine 2.0. Il y a deux ans, il crée l’Association de télémédecine du Gâtinais et invite les maires de son canton, souvent orphelins de généralistes, à se mobiliser pour lancer la téléconsultation dans leur village.
« Les maires venaient m’engueuler, me disant que je ne trouvais pas de nouveau médecin pour leur commune. Leur solution était la contrainte à l’installation, alors j’ai proposé cette alternative », confie le parlementaire. Depuis, l’initiative a fait son bonhomme de chemin et trois cabinets ont ouvert leurs portes à Saint-Maurice-sur-Fessard, La Selle-sur-le-Bied et Châtillon-Coligny. Jean-Pierre Door a signé un partenariat avec la start-up Healphi, basée à Marseille, pour équiper les cabinets et en assurer la logistique. Les maires, eux, ont fourni un local adapté.
Désert à 1 h 30 de Paris
Une fois le panneau “Montargis” dépassé en voiture, le petit centre-ville doté d’un hôpital local laisse place à d’immenses champs de tournesols et de maïs à perte de vue. Ici, pas de transports en commun, peu de commerces et surtout… pas de médecin. Un vrai désert, donc. Une vingtaine de minutes séparent la sous-préfecture de 15 000 habitants de la commune de La Selle-sur-le-Bied. En juin dernier, le maire de ce village d’un millier d’âmes, Pascal Delion, a inauguré le premier cabinet de téléconsultation du projet. « On a compris qu’il n’y aurait plus de médecin généraliste ici », s’est résigné l’édile.
Le conseil municipal décide à l’unanimité d’installer ce cabinet de téléconsultation au sein de la maison paramédicale du village, ancienne maison du bourg rénovée. Ici travaillait déjà Audrey Guillot, infirmière libérale en charge des créneaux de télémédecine. Elle travaille avec le Dr Pierre Dubois, jeune retraité de Tours. Les binômes médecin-infirmier sont fixes, ce qui permet au patient d’être suivi par le même praticien à chaque fois. Pendant la consultation, l’infirmière accueille le malade, l’installe face caméra, puis prend les constantes à la demande du généraliste. Deux patients attendent patiemment ce jour-là dans la salle d’attente flambant neuve de La Selle-sur-le-Bied.
Pascal, venu pour la seconde fois, témoigne : « J’ai eu de graves problèmes de dos et je n’arrivais pas à retrouver un médecin traitant après mon opération. Le mien est parti à la retraite il y a plusieurs années. La première fois, ça surprend de voir le médecin sur un écran puis on s’y fait ». Assis deux fauteuils plus loin, le jeune Nicolas, l’œil rouge, a parcouru plus de 10 kilomètres pour venir. Il assure ne pas appréhender « du tout » ce rendez-vous médical d’un nouveau genre.
Une assistance pour éviter les ruptures de soins
Trente kilomètres plus loin, à Châtillon-Coligny, commune de 2 000 habitants, d’autres téléconsultations s’enchaînent. Le cabinet a ouvert début 2019 au sein du pôle de santé et déjà, un nouveau créneau de télémédecine est envisagé tant la demande est forte. Ici, le Dr Pascal François, seul généraliste en activité de la commune, est le dernier des Mohicans. Les trois autres omnipraticiens qui partageaient les locaux de cet établissement pluriprofessionnel sont partis à la retraite. Résultat, la salle d’attente du médecin de famille est plus que bondée. Surmené, le Dr François affirme recevoir « 60 à 70 patients par jour » et doit même refuser quotidiennement une quarantaine de demandes. Si la solution de téléconsultation n’est selon lui « pas suffisante » pour répondre favorablement à tous les appels qu’il refuse, les premières semaines de téléconsultation ont permis de limiter quelques ruptures de soins.
Dans le box accolé au secrétariat du pôle, Guillaume Presle, infirmier remplaçant, lance la téléconsultation en binôme avec le Dr Thierry Autard. De l’autre côté de la webcam, ce généraliste installé à Montpellier assure la consultation de chez lui. Il consacre une demi-journée par semaine au projet. Le Dr Autard a été recruté à la suite d’un appel à candidature passé en ligne par la start-up Healphi. « J’étais désireux de rendre service aux patients dépourvus de médecin dans les campagnes », confie-t-il. Il travaille dans un cabinet montpelliérain de six médecins qui ne connaît pas pour l’instant la crise démographique.
Convaincu par cette expérience, l’Héraultais envisage d’arriver à terme à une journée de téléconsultations par semaine, en télétravail. Le médecin a en effet seulement besoin de son ordinateur et d’un logiciel adapté, rien de plus. « La seule limite à ces consultations est le besoin de palpation car l’infirmier n’est pas autorisé à le faire. Dans les autres cas, c’est comme un rendez-vous classique », assure le Dr Autard.
Le diagnostic affiné grâce aux objets connectés
Pour le patient présent ce jour-là, un agent communal venu pour une gêne respiratoire, l’interrogatoire du généraliste et la prise de constantes par l’infirmier suffiront à diagnostiquer une rhinopharyngite. L’IDE utilise les outils connectés à sa disposition : stéthoscope, otoscope, thermomètre, oxymètre, tensiomètre… À la fin de la consultation, le patient repart avec l’ordonnance envoyée par le généraliste. Le règlement s’effectue par carte bancaire et la télétransmission est possible. Manque de chance pour notre patient du jour, l’infirmier possède une carte CPS de remplaçant, non compatible avec le système Healphi. Le médecin devra envoyer une feuille de soins papier. Pas de quoi traumatiser le patient, qui repart ravi avec son ordonnance sous la main.
L’infirmier, pivot de ce projet et interlocuteur local des patients, y trouve aussi son compte. « C’est intéressant de casser la routine de l’activité libérale », insiste Guillaume Presle.
Pour l’instant, les généralistes travaillant avec l’Association de télémédecine ne sont pas des praticiens du coin. L’un vient de Tours, les deux autres de Montpellier. « Dès que des CPTS verront le jour sur le territoire, on s’intégrera dedans », assure Jean-Sébastien Gras, fondateur de la start-up Healphi. Il affirme être « dans les clous » de l’avenant 6. La réglementation précise pourtant qu’un patient peut téléconsulter (s’il n’a pas de médecin traitant ou si celui-ci n’est pas disponible) à la seule condition de passer par une organisation territoriale (CPTS, MSP, centre de santé). Ce n’est pas le cas ici, mais l’Assurance maladie semble pour l’instant fermer les yeux.
« Nous aimerions recruter des généralistes locaux mais s’il n’y en a plus pour les consultations classiques, il n’y en a pas non plus pour la téléconsultation. Heureusement, les infirmières connaissent bien l’organisation territoriale des soins », se défendent les porteurs du projet.
Pour l’instant, la solution trouvée par les élus de l’est du Loiret et Healphi fait des heureux. Plus de 300 téléconsultations ont été assurées depuis le mois de juin et d’autres cabinets vont ouvrir dans quelques jours à l’est du Loiret. Le projet devrait même être reproduit ailleurs : le Cantal et l’Ardèche sont les prochains sur la liste.
Un projet financé par les collectivités
Le projet Gâtinais de téléconsultation est porté par les collectivités locales : la Région, l’ARS, les communes et les professionnels de santé. À la demande de l’Association de télémédecine, l’ARS Centre-Val-de-Loire avait donné son accord pour des expérimentations. Depuis le 15 septembre, la téléconsultation est remboursée mais l’ARS continue d’assurer, via le fonds d’intervention régional (FIR), la rémunération des infirmiers assurant l’acte. Courant mars, le député Jean-Pierre Door devrait déposer un amendement dans la loi Santé pour faire entrer la téléconsultation infirmière dans le droit commun. Pour l’instant, ces professionnels sont payés 14 euros net de l’heure pour des vacations de trois heures. Les généralistes sont eux rémunérés comme une consultation normale, à 25 euros l’acte.
Logistique Le matériel est quant à lui fourni par la start-up Healphi. Chaque cabinet est équipé d’un chariot comprenant un ordinateur et des objets connectés. L’ensemble du matériel et des services fournis par la start-up (gestion des plannings, formation des infirmiers, recrutement des médecins…) revient à 25 000 euros par cabinet, pris en charge par le Conseil régional. Pour l’instant, Healphi ne prend pas de commission mais prévoit à terme de prélever 2,90 euros par téléconsultation pour couvrir les frais de fonctionnement des logiciels (Cegedim et Docavenue).
Attractivité Les maires doivent pour leur part fournir un local. Une des conditions est également que le territoire soit couvert par le haut débit, une connexion ADSL étant suffisante. Pour l’instant, dans l’est du Loiret, trois cabinets sont ouverts mais le projet prévoit l’équipement d’une dizaine de communes (cf. carte). L’objectif est de couvrir une zone de 30 000 habitants. À ce stade, seul un médecin généraliste installé s’est opposé à l’ouverture d’un cabinet de téléconsultation, dans la commune de Corbeilles-en-Gâtinais.
Les élus locaux espèrent par ailleurs que la téléconsultation devienne un argument pour recruter de nouveaux médecins. « Un jeune diplômé qui veut accrocher sa plaque à la campagne est parfois freiné par la peur d’être tout de suite submergé par les demandes. Avec l’appui de la téléconsultation, il sait déjà que certains actes sont délocalisés », explique un des créateurs d’Healphi. Reste à s’assurer de la pérennité de ce modèle économique impliquant les collectivités.