Hippocrate est-il mort du ou avec le coronavirus ?

Publié le 25/02/2022
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PAR LE Dr MATTHIEU CALAFIORE - La loi du plus fort est non dit bien ancré dans nos sociétés post-industrialisées. Et de ce point de vue, la crise du Covid a agi comme un révélateur. Mais le plus étonnant est que certains confrères se soient adonnés à un jeu délétère, suggérant là de confiner les plus faibles, inventant ici des traitements miracles pour être mieux armés ou trouvant finalement normal que les plus fragiles se voient désignés comme les victimes expiatoires du virus. Comme si certains avaient oublié le serment qu'ils ont prêté un jour…

Crédit photo : DR

Le sport scolaire fait régulièrement la part belle aux jeux collectifs. Football, basketball, volley-ball… Cela renforce le fait d’apprendre à être et vivre ensemble, s’appuyer sur les forces de chacun pour construire une action commune et espérer décrocher un point, un set, voire un match.

Avez-vous déjà été dans la peau de cet enfant pas forcément très doué en sport, au moment où sont constituées les équipes ? Vous savez, ce moment où les capitaines ont été désignés et doivent choisir ceux qui joueront avec eux… Ce moment précis où tous les prénoms sont appelés un par un, et où il ne reste peu à peu qu’un ou deux finalement prononcés avec toute la force du désespoir, comme si les prononcer était synonyme de défaite assurée.

Dans cette représentation de la collectivité, les plus faibles sont ceux qu’on aimerait ostraciser, renvoyer jouer dans des équipes uniquement constituées des mêmes malhabiles, voire confier à d’autres pour qu’ils ne puissent pas entraver le bien commun et le but ultime de l’équipe : jouer et gagner, quoi qu’il en coûte. Dans mon enfance, mon prénom était prononcé en premier pour les jeux de réflexion et en dernier pour les jeux sportifs.

Certains enfants se disent qu’une fois adultes, ces moments ne seront que des mauvais souvenirs. À bien y réfléchir, l’ensemble de notre société fonctionne un peu à l’image de ces sports collectifs de notre enfance. Sauf, en principe, un corps de métier bien particulier, qui s’engage à respecter « toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions ». Un corps de métier qui prête serment d’intervenir « pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité ». Ce serment d’Hippocrate n’a certes pas de valeur juridique, mais il est, selon le Conseil national de l’Ordre des médecins, l’un des textes fondateurs de la déontologie médicale.

Des propos surprenants dans la bouche de médecins

Il apparaît dès lors surprenant d’entendre des confrères parler de la pandémie actuelle en laissant supposer que les plus faibles doivent être mis de côté, voire comme l’a recommandé, au début de cette pandémie, un médecin autoproclamé de santé publique, être confinés pour permettre aux autres de vivre normalement.

Il apparaît d’autant plus surprenant que d’autres confrères puissent tenter de tirer profit de cette pandémie pour promouvoir un traitement inefficace, voire vendre des livres de pseudo-conseils pour ne plus jamais se retrouver dans le groupe des citoyens à la santé faible. Devenir celui qui sera fort dans ce monde dit d’après, bien que copie conforme de celui d’avant pour le moment, contre quelques euros. C’est oublier une autre partie du serment qui est censé nous unir, nous soignants, pour préserver la santé de la population tout entière, sans distinction : « Je ne tromperai jamais leur confiance et n’exploiterai pas le pouvoir hérité des circonstances pour forcer les consciences ».

En ce milieu du mois de février 2022, on dénombre en moyenne 274 morts par jour liés au Covid-19. Et quelques-uns peu scrupuleux d’énoncer que ces morts ne sont peut-être pas morts « du » virus mais « avec » le virus, comme pour banaliser ce moment tragique. Comme si, finalement, cela était normal que ceux touchés soient les plus faibles, les plus âgés ou les plus fragiles. Qu’il s’agirait là du cours logique de la vie humaine et que, s’il fallait blâmer quelqu’un, ce serait, au choix, les parents du défunt pour la transmission d’un patrimoine génétique défaillant, ou le défunt lui-même pour n’avoir pas été plus robuste. Comme si l’équipe « de la vie » nous poussait à trouver logique que les moins doués en ce sport qu’est d’être vivant, soient sacrifiés sur l’autel des bien portants. Il serait tellement dommage que notre société, libre, égale et d’après la légende fraternelle, se retrouve affublée de boulets que seraient ces fragiles qui empêcheraient les bien portants de pouvoir continuer à être égoïstes et autocentrés. C’est oublier que nous serons, toutes et tous, un jour plus âgés voire plus fragiles.

Le décalage entre ce genre de pensée et la conception du « vivre ensemble », est presque choquant. Que des non soignants puissent valider ces idées n’est pas excusable, en étant toutefois compréhensible si l’on regarde l’évolution de notre société depuis un siècle. Que les soignants puissent valider ces concepts ne trouvera jamais aucune justification. « Que les hommes et mes confrères m’accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses ; que je sois déshonoré(e) et méprisé(e) si j’y manque ». Hippocrate est-il à ajouter à la longue liste des victimes du Covid-19 ?

Exergue : Que des soignants puissent trouver normal que ceux touchés soient les plus faibles, les plus âgés ou les plus fragiles n’est pas excusable

Dr Matthieu Calafiore

Source : Le Quotidien du médecin