« 2023 est une année record pour l’Assurance-maladie », s’est félicité le 28 mars Thomas Fatôme, son directeur général, lors d’une conférence de presse, évoquant « un changement d’échelle » dans la lutte contre la fraude dont il dresse le bilan. Avec 466 millions d’euros de fraudes détectées et stoppées, la Cnam dépasse l’objectif annuel initial de 380 millions fixé par Gabriel Attal et arrive quasiment à celui de 500 millions pour 2024. Le Premier ministre a, en ce sens, revu à la hausse le chiffre à l’horizon 2027, élevé à 2,4 milliards d’euros.
Ces chiffres sont toutefois à mettre en relation avec le montant total des prestations versées par l’Assurance-maladie l’année passée, à hauteur de 247,6 milliards d'euros, selon les données de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024.
Pharmaciens et infirmiers en tête des fraudes
Le préjudice total par catégorie d’acteurs renseigne que les offreurs de soins et de services représentent à eux seuls 330,2 millions d’euros (+53,5 % par rapport à 2022). Les assurés, eux, sont responsables de 91,1 millions de préjudice (+33,6 %) et les établissements de santé de 45,1 millions (+ 39,2 %).
Si la moitié des fraudes détectées (en nombre) émanent des assurés, elles ne représentent en réalité « que » 20 % des montants. Inversement, 70,7 % du préjudice financier émane des professionnels de santé, lesquels ne représentent que 25,9 % de la fraude soit 7 000 dossiers… Une nuance à apporter au « tabou » que souhaitait briser Gabriel Attal sur la fraude des soignants.
Dans le détail de la fraude des professions de santé, les pharmaciens font toujours la course en tête avec 60 millions d’euros de préjudice identifié. Un chiffre en baisse toutefois, par rapport aux 103 millions de 2022, en lien avec le Covid-19 et les tests antigéniques. Côté médecins, les spécialistes occasionnent 23 millions de fraudes et les généralistes 18 millions. Les infirmiers, eux, génèrent 50 millions.
L’audioprothèse et les centres de santé ciblés
Mais Thomas Fatôme, puis son directeur délégué de l’audit, des finances et de la lutte contre les fraudes Marc Scholler, se sont concentrés cette année sur les 58 millions de préjudice (deuxième au classement) des centres de santé. Soit une augmentation de 1 000 % en un an ! Depuis 2021, 200 structures sur les 2 500 existantes ont été contrôlées. En 2023, 21 d’entre elles ont été déconventionnées (pour des dérives comme la facturation d'actes fictifs, les facturations multiples pour un même acte ou encore des soins non justifiés), dont un réseau de 13 centres l’été dernier. Au total, 11 proposaient de l’ophtalmologie. « Il est très vraisemblable qu’il y ait de nouveaux déconventionnements de centres de santé dans les mois à venir », a glissé le DG de la Cnam, qui a salué le travail des task-forces nationales sur le sujet.
Autre sujet pour la Cnam, la réforme du 100 % santé, laquelle a multiplié par quatre la prise en charge des appareils auditifs et d’audioprothèses, avec 767 000 personnes concernées en 2023. Si les deux directeurs y voient « une réussite », ils remarquent également, en parallèle, l’émergence de pratiques frauduleuses. Marc Scholler a évoqué les manquements, l’exercice illégal de la profession et même la bande organisée, avec l’absence d’examen préalable pour un tiers des cas, des fausses ordonnances ou encore l’absence de délivrance de l’appareillage. Grâce aux contrôles de la Cnam, notamment 9 000 factures rejetées sur 16 000 ciblées, 21 millions d’euros de préjudices ont été stoppés. Actuellement, 160 sociétés d’audioprothésistes font l’objet de contrôles. Depuis le début de l’année 2024, des dizaines d’entre elles ont été radiées des fichiers de l’Assurance-maladie…
Sus aux faux arrêts de travail
Sur le volet « assurés », la fraude rapportée est donc de 91 millions d’euros, soit 33 % de plus par rapport à 2022. La Cnam en distingue trois catégories : les fraudes aux droits à l’Assurance-maladie (27,5 millions d’euros pour 9 000 dossiers) ; les fraudes en prestations en nature (24,8 millions d’euros pour moins de 2 000 dossiers) ; et la fraude aux prestations en espèces (38,7 millions d’euros pour 4 000 dossiers).
Ces dernières contiennent notamment les indemnités journalières, qui représentent 17 millions d’euros de fraudes détectées. Faux avis d’arrêts de travail (AT), faux bulletins de salaire etc… les exemples ne manquent pas pour la Cnam, qui rapporte 1 200 pénalités financières prononcées pour un montant global de 3,7 millions (+90 % par rapport à 2022). Leur montant moyen est de 3 100 euros, mais ces sanctions peuvent atteindre plus de 325 000 euros, comme un assuré en 2023 qui a continué à travailler malgré un AT de longue durée, délivré après un accident du travail.
Les faux arrêts de travail spécifiquement ont représenté un préjudice financier de 7,7 millions d’euros pour 1 700 dossiers. Les 830 pénalités financières en 2023 sont en hausse de 90 %. Il s’agit bien « de l’une priorité des priorités des cyber enquêteurs », a martelé Thomas Fatôme, expliquant miser l’arrêt de travail dématérialisé (deux tiers des émissions aujourd’hui). Et, d’ici la fin de l’année, la sécurisation des formulaires papier Cerfa sera renforcée.
Les transporteurs sanitaires bientôt contrôlés
Côté poursuites, la Cnam a augmenté de 20 % les suites contentieuses contre les fraudeurs, à hauteur de 10 500 dossiers, réparties principalement entre 4 000 procédures pénales, 3 500 pénalités financières (pouvant aller jusqu’à trois fois le montant de la fraude) et 101 procédures conventionnelles.
Les 1 500 agents dédiés à la lutte contre les fraudes verront le recrutement de 300 autres postes d’ici à 2027. L’Assurance-maladie pourra compter, au second semestre 2024, sur 60 cyber-enquêteurs disposant de prérogative de police judiciaire, dans six pôles interrégionaux.
Interrogé sur sa politique anti-fraudes, le DG de la Cnam a toutefois botté en touche à quelques reprises. Combien coûte cette lutte contre la fraude ? « Cela fait partie de l’enveloppe globale… et les frais de gestion de la Caisse nationale sont passés sous les 3 % » Sur l’actualité aussi : la fusion de la carte Vitale et d’identité ? « L’Igas rendra ses conclusions dans les prochaines semaines ». Ces prochains jours seront dédiés, a-t-il indiqué, aux contrôles sur les transporteurs sanitaires, lesquels représentent 34 millions de préjudice financier détectés en 2023. Le patron de Bercy, Bruno Le Maire, les avait également en ligne de mire ces derniers jours… Ordre du jour commun ?
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