Grand entretien

Corinne Blachier, DG d'Amgen France : « Biosimilaires, pourquoi opter pour des appels d'offres multi-attributaires »

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Publié le 15/04/2021
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Crédit photo : Amgen

Faut-il parler d’un printemps précoce en France pour l’accès des patients à l’innovation ?

La volonté politique s’est exprimée au travers de la réforme de l’accès précoce incluse dans la LFSS 2021. Quant au CSIS*, il a positionné l’innovation comme un axe de travail prioritaire. Les espoirs sont permis. Pour autant, j’ai appris à être prudente. On peut se féliciter d’une loi, et de signes positifs émis par les pouvoirs publics. Les échanges sont certes nombreux. Et se déroulent dans un climat de confiance. Mais la publication des décrets d’une loi confirme ou non les ambitions affichées lors de la discussion au parlement. Au final, les décrets en respecteront-ils l’esprit à savoir de disposer d’un dispositif simple, lisible, prévisible et attractif ? Attendons le 1er juillet pour avoir la réponse.

D’autres signes positifs pour l’industrie pharma sont perceptibles comme la signature de l’accord-cadre ?

Cet accord a inclus un grand nombre de dispositions très favorables au soutien à l’innovation. Et ouvre le chemin à des approches pertinentes comme l’option ouverte de paiements à la performance et donc de lier un prix à des données médicales. L’industrie pharmaceutique a depuis longtemps poussé à l’adoption de ce type de mesures. On observe dans le même temps un changement d’état d’esprit face à l’évaluation médico-économique. C’était devenu une machine à produire des réserves méthodologiques majeures. Le résultat n’était guère constructif. Et ne contribuait pas à l’aide à la décision. Elle peut désormais être utilisée pour éclairer la décision sur plusieurs volets comme la gestion de l’efficience par exemple.

Ce sont de très bons signaux, à l'image de l'accord-cadre. Persiste toutefois la question des délais. Certes, la HAS a réalisé de réels progrès. Mais le fossé demeure difficile à combler en l'absence d'une réforme structurelle pour atteindre le seuil des 180 jours. Le CSIS devrait permettre de remettre à plat certaines procédures.

 

 

Y a-t-il un avenir pour un laboratoire international en dehors de l'oncologie ?

L'histoire d'Amgen est plutôt originale si on la compare à d'autres laboratoires. Elle s'est écrite au départ avec la cancérologie, l'hématologie. Puis Amgen s'est ouvert à d'autres domaines thérapeutiques, notamment les maladies chroniques. En témoignent le développement d'un anticorps monoclonal, le denosumab dans l'ostéoporose puis en oncologie, ou l'anti-PCSK9 Rapatha® contre le cholestérol, sans parler d'un traitement contre la migraine commercialisé en Europe par Novartis. Nous sommes par ailleurs très présents dans les traitements contre l'inflammation. Amgen vient récemment de conclure l'acquisition de Rodeo Therapeutics spécialisée dans la biologie des prostaglandines, impliquées dans la régénération tissulaire. D'autres laboratoires ont en revanche suivi un chemin inverse.

 

Autre originalité de la biotech, Amgen s'est également lancé dans les biosimilaires.

C'est bien sûr un axe stratégique. Certes, l'innovation capture l'essentiel du budget R&D. Pour autant, nous avons des compétences, un savoir-faire en développement et production de médicaments biologiques. Dans le même temps, notre taille critique nous permet de réduire les coûts. Autant d'atouts qui nous ont conduits à nous lancer dans la production et la commercialisation de biosimilaires. D'autant que les biosimilaires libèrent des marges de manœuvre pour financer l'innovation. Nous avons lancé nos trois premiers biosimilaires il y a trois ans, deux à l'hôpital, un en ville. D'autres lancements, une dizaine, sont programmés sur les marchés européens dans les prochaines années en oncologie-hématologie, maladies inflammatoires, ophtalmologie. La pénétration des biosimilaires à l'hôpital est très satisfaisante, très rapide. Ce marché présente plusieurs spécificités. Bien sûr, les prix sont un critère essentiel. Mais nous devons garantir l'approvisionnement. Or, ce marché est sous tension. Pour autant, au cours des quinze dernières années, Amgen n'a jamais connu de rupture de stock. Ce succès repose sur la production dans une usine, doublée le cas échéant par la production dans une autre usine, capable de prendre le relais en cas d'incident.

 

Quelles mesures les hôpitaux devraient prendre pour se protéger de ces ruptures ?

L'une des solutions passe par des appels d’offres multi-attributaires. Cela permettrait de mieux gérer les risques de rupture. En effet lorsqu'un gros acheteur est confronté à un problème d'approvisionnement, il est alors contraint de s'adresser à d'autres laboratoires. Or, il n'est pas toujours possible de répondre à cette demande. La solution serait peut-être d'instaurer au lieu de la loi du  « gagnant rafle tout » un nouveau modèle où trois laboratoires seraient au final sélectionnés. Le premier gagnerait 50 % du volume du marché, le second 30 % et le troisième 20 %. Si l'on conserve le seul critère du prix, le danger de création d'un monopole ne peut être écarté. À ce jour le code des marchés publics autorise le recours à ce modèle alternatif.

Quel est le pipeline du laboratoire ?

Dans notre portefeuille nous développons dans le cancer du poumon non à petites cellules le sotorasib, indiqué chez les patients porteurs d'une mutation KRAS. Quant à notre plate-forme BITE, elle mobilise les lymphocytes T cytotoxiques dirigés vers des antigènes tumoraux rencontrés dans différents cancers de type myélome multiple, leucémie aiguë ou cancer de la prostate. Enfin nous venons d'acquérir Five Prime qui dispose d'un traitement prometteur dans le cancer gastrique.

Outre l'oncologie, des molécules sont enfin étudiées dans le lupus, l'asthme sévère, l'insuffisance cardiaque, l'obésité et la migraine. L'innovation est bien l’hashtag, l'ADN du laboratoire.

 

*Conseil stratégique des industries de santé.


Source : lequotidiendumedecin.fr