Pendant plus de deux heures, Emmanuel Macron a déroulé devant la presse réunie à l’Élysée, mardi 16 janvier, sa vision de la suite du quinquennat, auquel il s’est employé de donner un nouveau souffle dans la foulée de la nomination du gouvernement Attal. Et bien plus que d’habitude, la santé a occupé une très large part dans les propos du chef de l’État. Plusieurs sujets clivants ou de société sont en revanche restés au placard : quasiment pas un mot sur la réforme de l’aide médicale d’État (AME), l’IVG ou la fin de vie.
Dès son propos liminaire, Emmanuel Macron a en revanche longuement évoqué l’accès aux soins et, à l’unisson de sa ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités Catherine Vautrin, « le scandale des déserts médicaux », auquel il entend mettre fin.
Réguler l’installation ? « Non, je n’y crois pas »
Car, pour lui, « le problème est simple » et le constat connu : quelque 100 000 médecins généralistes exercent en France mais « on en a perdu 6 000 en 10 ans », a déploré le président ; le numerus clausus a certes été réformé en 2018 mais « il faut 10 ans pour former de nouveaux médecins » ; enfin, un généraliste sur quatre a plus de 60 ans, alors que les besoins de santé ne cessent d’augmenter. Un effet ciseaux dévastateur…
Si le problème est simple, la solution l’est moins. La régulation à l’installation, que réclament nombre d’élus ? « Non, je n’y crois pas », a répondu, catégorique, Emmanuel Macron, qui ne veut pas décourager les vocations. D’autant que « le nirvana surdoté (en médecins) » ou les praticiens se pressent n’existent plus, sauf pour quelques spécialités gourmandes de soleil. La désertification médicale frappe tous les territoires (ruraux, urbains) et au premier chef les généralistes. Le président connaît son sujet, plaide-t-il : son père, sa mère, sa sœur ont fait médecine. « Je suis le seul mauvais élève de ma famille », a-t-il plaisanté.
Appelant son nouveau gouvernement à « sortir des codes et des cases », le chef de l’État a plutôt plaidé pour une « révolution de l’organisation » au regard des nouvelles pratiques des jeunes générations, qui n’hésitent pas à quitter la médecine hospitalière ou libérale pour l’entreprise privée, l’industrie, les laboratoires, ou même qui privilégient l’activité partielle.
Il faut débureaucratiser notre santé
Mais comment ? Première étape : réformer la tarification, véritable marotte présidentielle. Les médecins devront « sans doute être davantage payés au patient plutôt qu’à l’acte », une évolution vers les forfaits ou même la capitation déjà évoquée à plusieurs reprises. Ainsi, la France passera d’une médecine curative à une médecine plus préventive, a plaidé Emmanuel Macron, remettant au goût du jour une de ces idées fixes sans donner davantage de détails.
Deuxième étape : faire mieux travailler la ville et l’hôpital ensemble. Les déserts existent quand ces deux mondes ne se parlent pas, analyse-t-il, citant en exemple de réussite la période Covid lorsque certains silos ou clivages avaient été supprimés.
Troisième étape : déléguer davantage les actes médicaux et les ordonnances aux pharmaciens et aux paramédicaux. C’est ainsi qu’on dégagera du temps aux médecins, qui pourront de leur côté « voir plus de patients ». Le président croit beaucoup à ces délégations pour passer les années difficiles qui se profilent : il l’a répété deux fois.
Ajustant son costume libéral, Emmanuel Macron a expliqué que libérer du temps médical réclamerait aussi de « débureaucratiser notre santé », une formule utilisée en son temps par François Fillon. Comment ? en utilisant les services administratifs et techniques des autorités sanitaires locales (comme les agences régionales de santé) « en soutien » des équipes de santé de proximité. Tout doit être fait pour éviter d’écœurer les soignants et leur simplifier l’exercice a-t-il insisté.
Quatrième étape : continuer de développer les maisons de santé pluriprofessionnelles, dont le nombre devra avoir « doublé » depuis le début du premier quinquennat – l’objectif affiché par le gouvernement étant de 4 000 MSP d'ici à 2027.
Les gardes obligatoires en ville, un système « quand même pas mal »
Cinquième et dernière étape : la prise en charge plus efficace des soins non programmés en poussant au maximum le service d’accès aux soins (SAS), plateforme au milieu du gué depuis le départ de François Braun… 70 % du territoire est couvert par ces SAS. « On était à zéro il y a deux ans, on va essayer de monter à 100 % cette année », a fixé Emmanuel Macron, rappelant que ce système basé sur le volontariat a pris le pas sur l’obligation des gardes pour les médecins de ville, supprimée en 2002. « C’était un système qui était pas mal…, a-t-il taquiné. Le supprimer a renvoyé la pression sur l’hôpital. C’est la raison pour laquelle nous avons recréé un système avec le SAS. C’est la solution pour désengorger les urgences. »
Faisant écho aux propos de sa ministre de la Santé, lors de la passation de pouvoir avec Agnès Firmin Le Bodo, Emmanuel Macron a insisté sur l’aspect territorial prioritaire de l’accès aux soins, et la nécessité d’appréhender les enjeux à l’échelle de chaque bassin de vie. Pour les 1 200 bassins existants, a-t-il exhorté, il faut « une feuille de route de la santé » et une « stratégie au plus près du terrain ». Sans les citer, Emmanuel Macron égrenait-il dans sa tête l’acronyme CPTS pour communautés professionnelles territoriales de santé, mais aussi les conseils territoriaux de santé (CTS), qui ont vocation à décliner les projets régionaux de santé ?
La « précarité administrative inefficace » des Padhue
Interrogé sur la valse des ministres avenue Duquesne, le président a botté en touche. Cinq ministres depuis le début du deuxième quinquennat ? « C’est la vie politique, ça ! Mieux vaut cinq ministres qu’un seul sans cap ! »
Le locataire de l’Élysée a également pris quelques minutes pour affirmer son souhait de voir de nombreux médecins à diplôme étranger (les Padhue), qui se désespèrent de pouvoir exercer rapidement et sereinement la médecine en France, « régularisés » afin de les sortir d’une situation de « précarité administrative inefficace ». Un espoir pour ces praticiens bloqués et relégués depuis de longues années dans des statuts fragiles, qui les privent du plein exercice.
Emmanuel Macron, sans doute attentif aux remontées de terrain hospitalières en général et à celle du directeur général de l’AP-HP, Nicolas Revel en particulier, l’a dit : il faudra aussi rapidement trouver des solutions pour « aider à mieux recruter des paramédicaux dans les grandes villes, pour qui ça reste très cher de trouver des logements près de l’hôpital ». Pour le chef de l’État, c’est la raison pour laquelle « des lits sont fermés ».
Les franchises ? « Pas un crime terrible »
Sur le volet économique enfin, le chef de l’État a pris une position ferme sur le feuilleton de l’augmentation des franchises sur les boîtes de médicaments, qui a divisé le gouvernement et le Parlement pendant tout le dernier semestre de 2023. Emmanuel Macron a jugé que ce n’était pas un « crime terrible » d’augmenter la franchise de 50 centimes à un euro par boîte, tant que les patients fragiles en ALD sont protégés par un plafond annuel de 50 euros. Feu vert est donc donné à la requête de Bercy de doubler ces franchises acquittées par les Français.
Recyclant enfin une vieille formule qui lui est chère, Emmanuel Macron a rappelé qu’« il n’y a pas d’argent magique, ni dans la santé, ni ailleurs ». « Les médecins, les médicaments, ça ne coûte pas rien ! » a-t-il jeté. Et puis, au regard des dépenses des Français dans leur vie quotidienne ou pour leur forfait de téléphone, qu’est ce donc, 50 centimes ? « Franchement, a conclu le président, ça ne me choque pas ». Fin du débat ?
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