Éditorial

Drôle d’anniversaire

Publié le 09/10/2015
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Happy Birthday, Grand-mère ! La Sécu, dont on fête les 70 ans est depuis si longtemps dans notre paysage national qu’elle est devenue partie intégrante de notre quotidien. De cette institution, « si éminemment familière », selon Marisol Touraine, on n’imagine pas nos concitoyens pouvoir se passer. Et les soignants pourraient dire la même chose, tant l’Assurance Maladie paraît consubstantielle d’un système de santé français, libéral sans doute, mais d’abord et avant tout social. Avec les conséquences que l’on sait : au milieu du XXe siècle, le médecin avait parfois du mal à joindre les deux bouts ; c’est la protection sociale qui lui a procuré des revenus réguliers, à défaut d’être pharaoniques pour tous.

Las… Pourquoi le généraliste d’aujourd’hui est-il si peu enclin à fêter cet anniversaire ? C’est peut-être qu’en sept décennies, la médecine a bien changé. On est passé d’une médecine qui soigne à une médecine qui guérit. Débauche de moyens diagnostiques, explosion de l’arsenal thérapeutique, nouveaux besoins, nouvelles pathologies… La Sécu a dû s’adapter tant bien que mal. Au fil des années, elle rembourse de moins en moins bien les soins courants et elle contrôle de plus en plus le parcours des assurés et les pratiques des médecins. Ces derniers ayant même été transformés en auxiliaires des caisses à la faveur de l’informatisation du système… Le ras-le-bol chez eux est patent. C’est sans doute la rançon des succès de la médecine et d’un compagnonnage de près d’un siècle… pour le meilleur et pour le pire.

Mais le plus inquiétant est peut-être à venir… Car, en dépit des assurances de nos gouvernants, la Sécu n’est pas immortelle. Et les signaux négatifs s’accumulent. Pour la branche maladie, 2015 devrait se solder sur un déficit de 7,4 Mds €, un de plus qu’en 2014 ! Les médecins n’y sont pas pour grand-chose, puisque c’est à une crise des recettes que l’on doit cette métamorphose : la plus belle fille de la Libération se transformant en une vieille dame indigne, édentée et endettée. En ces temps de commémoration, tous les esprits sont donc tournés vers l’Allemagne et son bel excédent. Histoire de se changer les idées peut-être… Pourtant, les solutions du moment semblent bien franco-françaises : à la faveur d’une nouvelle extension de la couverture complémentaire, tout se met en place pour organiser en douceur un repli de la couverture obligatoire. Les patients, c’est sûr, y seront davantage de leur poche. Et quant aux médecins, ils ont sans doute plus à perdre qu’à gagner à ce jeu de bonneteau.


Jean Paillard, directeur de la rédaction

Source : lequotidiendumedecin.fr