Depuis 2016, le Dr Emmanuel Baudry, médecin généraliste dans un quartier prioritaire de la ville d’Angers, et le Dr Trystan Bacon, médecin généraliste installé comme collaborateur à Montmerle-sur-Saône, co-animent un cours intitulé « Santé et précarité » à la faculté de médecine d’Angers. Ce cours relativement unique en France se déroule sur une journée et s’adresse à des internes en médecine de second et troisième cycles. Initialement créé par le Dr Sylvie Cognard, généraliste à la retraite et auteure du livre Chienne de vie, des nouvelles de Toubib de Cité, cet enseignement facultatif a vocation à former de futurs médecins généralistes à la prise en charge de la précarité.
Apprendre à repérer la précarité
La première partie de ce module de sept heures consiste en une approche théorique de la précarité. « Nous abordons les grands enjeux de santé et de précarité en médecine générale et nous donnons aux étudiants des références théoriques, notamment sur les différentes couvertures sociales (CMU, CMU-C AME), sur les dispositifs de remboursement qui existent et sur les dispositifs d’accès aux soins », indique le Dr Emmanuel Baudry.
Cette journée d’enseignement permet aussi aux internes d’apprendre à mieux repérer la précarité. « Nous leur transmettons des clés pour que, le moment venu, ces futurs médecins soient aptes à aller chercher des informations sur la situation sociale de leur patient », précise le Dr Trystan Bacon.
Parmi les outils proposés par les deux enseignants : des questionnaires pour évaluer la précarité selon une approche pluridimensionnelle (logement, revenu et transport), des informations relatives à l’interprétariat ou encore des connaissances sur les réseaux existants pour orienter les patients en fonction de leurs besoins.
Pour la seconde partie du module, les internes sont confrontés à des consultations fictives. Un interne joue le rôle du patient, l’autre celui du médecin. « Cet exercice permet d’aborder des cas cliniques multiples et d’adapter la prise en charge des patients en fonction des situations », étaye le Dr Emmanuel Baudry.
Pour les internes désireux d’aller plus loin, un stage « précarité » supervisé par le Dr Emmanuel Baudry est proposé. Pendant six mois, le carabin réalise des consultations de médecine générale en prison ainsi qu’au sein de la Pass d’Angers. Il effectue aussi des maraudes au sein d’une équipe mobile psychiatrie précarité (EMPP). Un stage qui s’avère être un « très bon moyen » de sensibiliser les internes à la notion de précarité, assure le Dr Trystan Bacon, qui l’a lui même suivi.
Former, une réelle nécessité
Si les deux généralistes enseignants, également bénévoles à Médecins du monde, sont pleins d’enthousiasme à l’idée de transmettre un regard éclairé sur la question des inégalités sociales en santé à ces futurs médecins, ils restent convaincus qu’un déficit de formation persiste.
« Lorsque nous discutons avec les internes, nous nous rendons vite compte qu’ils n’ont pas toujours les prérequis. Nous passons beaucoup de temps sur des notions fondamentales alors que nous disposons seulement d’une journée », regrette le Dr Emmanuel Baudry. Il ajoute : « Tant qu’il n’existera pas un enseignement obligatoire dans le cadre du cursus de médecine, certains médecins passeront volontiers à côté de l’enjeu “santé et précarité” ! »
Dressant ce même constat, le Pr Pierre Micheletti, ancien généraliste et ancien président de Médecins du monde, a créé le diplôme universitaire (DU) Santé, solidarité et précarité à la faculté de médecine de Grenoble il y a une quinzaine d’années. Fort de cette expérience, il a défendu en 2014, auprès de la Conférence nationale des doyens de médecine, l’idée d’injecter dans le cursus obligatoire des références théoriques sur les inégalités sociales de santé.
« Après cet échange, une circulaire soutenue par la ministre de la Santé de l’époque, Marisol Touraine, et Geneviève Fioraso, alors députée de l’Isère, est sortie. Elle rend obligatoire quatre heures de cours dans le deuxième cycle des étudiants en médecine. C’était homéopathique mais c’était symbolique », se souvient-il.
Toutefois, selon le Dr Trystan Bacon, aborder la question de la précarité sous le seul prisme de la santé publique est insuffisant. « Ces cours de premier et second cycles permettent un apport statistique et démographique de la précarité mais la réalité de la rencontre soignant-patient est totalement éludée », conclut-il.
En 2018, une enquête pilotée par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) révélait que 54 % des médecins généralistes s’estimaient « insuffisamment formés » à la prise en charge de patients en situation de vulnérabilité sociale.
En France, seulement une poignée d’universités (Grenoble, Bordeaux, Lille, Montpellier) proposent un diplôme universitaire axé sur la précarité en santé.
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