Grippe : aurait-on pu mieux faire ?

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Publié le 20/01/2017
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La situation dans les hôpitaux s’est stabilisée et le nombre de cas graves commence à diminuer, le pic épidémique de grippe est déjà franchi dans certaines régions et serait en passe d’être atteint au niveau national. Pour autant, la crise de ces dernières semaines a mis en lumière des failles dans notre système de soins.
Grippe

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Crédit photo : BURGER/PHANIE

Cette année, l’épidémie de grippe a de nouveau suscité l’inquiétude. « De crise en crise, combien de temps allons-nous considérer que la canicule et la grippe sont des éléments contre lesquels on ne peut rien ? » s’interroge Pascal Champvert, le président de l’association AD-PA qui représente les directeurs de maisons de retraite et de services à domicile. L’association craint que l’épidémie de cette année soit « aussi virulente » que celle de 2015 qui avait provoqué une surmortalité de 18 000 personnes.

Quand la tension monte…
Effectivement, comme en 2015, cet hiver le virus est de type H3N2 et celui-ci touche préférentiellement les sujets âgés. Mais il y a 2 ans, le vaccin ne couvrait pas toutes les souches virales circulantes alors que cette année il est en adéquation avec le virus présent. De même, si en 2015 la couverture vaccinale chez les personnes à risques était au plus bas avec 46 %, la CNAM avait constaté que les données repartaient légèrement à la hausse l’année dernière avec 48 % des individus à risques vaccinés. On pourrait donc s’attendre à ce que cette timide augmentation se poursuive. C’est d’ailleurs ce que semble confirmer le groupe Sanofi-Pasteur, qui remarque que les ventes de Vaxigrip (dont il est le fabriquant) sont en progression (2 %) par rapport à l’année 2014/2015.
Et pourtant, certains évènements sont préoccupants. Première séquence marquante de l’épidémie : entre le 23 décembre et le 7 janvier, 13 résidents d’une EHPAD lyonnaise décèdent des suites de la grippe. En tout, sur les 110 pensionnaires accueillies, 72 ont contracté le virus et plusieurs ont dû être hospitalisés. L’IGAS devrait bientôt faire la lumière sur cette situation qualifiée par la ministre de la Santé comme « très exceptionnelle ».
Mercredi dernier, la même ministre, craignant qu’une proportion importante de malades nécessite une hospitalisation, avait demandé aux hôpitaux de déprogrammer les opérations non urgentes afin « de libérer des lits d’aval ». D’après Christophe Prudhomme, porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF), le problème vient surtout du fait qu’ « il n’y a pas assez de généralistes » et que « les EHPAD ne sont pas assez médicalisées ». Des personnes âgées se trouveraient hospitalisées par défaut car « il n’y a pas le réseau nécessaire en ville ni le personnel dans leur établissement d’hébergement ». Le praticien évoque également le cas des personnes âgées vivant toujours chez elles qui, « après le départ de leur généraliste à la retraite, ont du mal à trouver un nouveau médecin traitant qui fasse des visites à domicile ».

La vaccination des soignants « sur la table »
Les décès en nombre survenus dans l’EHPAD à Lyon ont aussi souligné le fait que les soignants ne se vaccinent pas de manière systématique, loin de là. Leur couverture vaccinale selon Santé publique France est estimée entre 25 et 30 %. Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP s’est ému du « mauvais » taux de vaccination du personnel, précisant qu’il s’élevait à « 10 % chez les paramédicaux » et à « 25 % chez les médecins ». Pour Claude Leicher, président de MG France : « les médecins généralistes sont ceux qui se vaccinent le plus ». Le Pr Benoît Vallet, directeur général de la Santé, convient que les mesures incitatives « ne sont pas suffisantes, il faut passer à un cran supérieur (…) et ce cran peut être l’obligation ». Ce dernier vendredi de janvier, le problème sera remis sur la table avec « les spécialistes dans le domaine », c’est-à-dire le Pr Alain Fischeret le Pr Pierre Bégué, le président de l’Académie de médecine. « Un travail va s’engager sur (…) ce qui doit être fait », assure Marisol Touraine.

Améliorer l’efficacité du vaccin
Alors comment limiter la transmission vers les sujets âgés ? « Le vaccin reste la meilleure option pour éviter la propagation du virus et protéger les populations à risques », renchérit le Dr Daniel Floret, membre de l’HCSP et ex-président du Comité Technique de Vaccination. Cependant, celui-ci fonctionne moins bien chez les personnes âgées en raison de l’immunoscénescence. Si l’ajout d’aucuns adjuvants n’a donné de résultats probants, de nouvelles pistes sont explorées à l’étranger. Aux États-Unis, « on multiplie par 4 la dose d’antigènes, et ce vaccin fortement dosé est employé pour les personnes âgées », explique l’expert, soulignant qu’à l’exception des données de l’ummunogénicité, aucun élément tangible ne démontre l’efficience de cette méthode sur le terrain.
Outre-Manche, c’est la politique vaccinale qui a évolué afin de remédier au problème. La grippe se propageant à partir des enfants, la stratégie mise en place est de les vacciner afin de protéger les adultes. Si les premiers résultats sont encourageants, « on n’est pas sûr que cela marche à terme car ils utilisent un vaccin vivant intranasal dont l’efficacité tend à décliner », modère le spécialiste.

Conjoncture défavorable
Plusieurs solutions semblent donc envisageables afin de mieux prévenir les futures épidémies de grippe à l’avenir notamment en améliorant le taux de vaccination chez le personnel soignant. Toutefois, il est notable que la conjoncture était particulièrement défavorable cette année. Le virus est arrivé bien plus tôt par rapport aux deux dernières années, entraînant la concomitance de 3 épidémies avec la bronchiolite et la gastroentérite. D’autre part, la période des fêtes se caractérise par un nombre restreint de personnels soignants. Enfin, le précieux repas de Noël, grand moment de convivialité, a favorisé la transmission du virus, notamment des petit-enfants aux grands-parents.
Ainsi, les craintes de l’AD-PA sont-elles justifiées ? Sommes-nous face à une « hécatombe » comme l’a titré Le Parisien ? Il est peut-être trop tôt pour le dire car on ignore encore plusieurs paramètres dont la proportion des décès indirectement imputables au H3N2. Pour Claude Leicher, « la grippe reste standard même si la mortalité est en peu plus élevée que dans les prévisions ». Alors que le pic est déjà franchi en PACA et îles de France, et serait en passe d’être atteint au niveau national, le taux d'incidence vu en médecine générale est de 409/100 000 soit environ la moitié par rapport à 2015 au même moment, d'après le réseau Sentinelles. Un premier bilan attendu pour la semaine prochaine devrait déjà permettre d’avoir une idée de l’intensité de l’épidémie. Dans les hôpitaux, la situation semble s’améliorer : « il y a moins de patients âgés nécessitant une hospitalisation », a exposé Marisol Touraine mardi même si 172 hôpitaux demeuraient sous tensions. Elle a tout de même stipulé que si « la tension s’est relâchée », « elle demeure présente ».


Source : lequotidiendumedecin.fr