Mardi 17 décembre, la manif des hospitaliers a-t-elle été escamotée par celle des retraites ? C'est en tout cas le sentiment de certains manifestants partis de l'hôpital Lariboisière près de la gare du Nord. Ils ont eu parfois l'impression de "se faire voler" leur manif par les syndicats anti-retraite. En témoignent les militants pro-CGT qui remontaient le cortège avec leurs drapeaux rouges et des fumigènes bien voyants. Ce que confirme une infirmière de l'hôpital Necker présente au défilé avec deux de ses collègues (dont une auxiliaire puéricultrice) en colère : "Notre date de manif prévue de longue date se retrouve en même temps que celle pour les retraites. Et du coup on va passer à l'as et on ne parlera pas de nous." Sa collègue pourtant hésitante à prendre la parole se lâche finalement sur le sujet : "Si on doit travailler tard pour avoir notre retraite, on fera la tournée des patients en déambulateur". Sa copine puéricultrice surenchérit : "Et on les piquera en ayant Alzheimer. Qui saura si le lève-malade sera pour eux ou pour nous ?"
Un jeune interne travaillant à l'AP-HP en anesthésie-réanimation ne se préoccupe pas trop non plus de sa retraite "dont le système est réformé tous les deux ans". Au contraire, il s'indigne de la décrépitude du modèle français hospitalier : "L'hôpital public à la française doit rester ce qu'il est et retrouver sa qualité de soins qu'il est en train de perdre. Les personnels sont découragés, il faut leur redonner de l'espoir, bien les payer, les soutenir et les remercier de leur travail."
Dans le cortège, tenant une banderole, Anne-Marie, déjà retraitée et ancienne formatrice en manip radio s'inquiète justement pour ses collègues et pour les jeunes. Venant soutenir ses anciens élèves, elle se sent même favorisée par rapport aux jeunes qui arrivent sur le marché. "Leurs conditions de travail sont scandaleuses, alors que beaucoup de diagnostic reposent sur eux". Les manipulateurs radio font partie de ces catégories à l'hôpital qui se sentent particulièrement malmenés. Ce métier n'est plus du tout attractif. En témoigne l'affirmation il y a quelques mois de Martin Hirsch, le patron de l'AP-HP, qui avait recensé 130 postes vacants. Ce que confirme une manipulatrice dans le défilé qui perçoit 1 800 euros net par mois alors qu'elle travaille depuis dix-sept ans dont treize à l'hôpital Robert-Debré. Son autre collègue avec une expérience de 30 ans reçoit un salaire de 2 200 euros net. "On est les grands oubliés, on fait des petites photos et on appuie sur des boutons. Sans nous, l'hôpital ne tournerait pas." La communauté des manipulateurs monte au créneau depuis des semaines et a même créé un collectif Manip Ile-de-France le 21 novembre dernier. Comme les urgentistes, le projet est parti également de Saint Antoine. Pour atteindre plus de visibilité, une page Facebook est même en cours de création. A la question de savoir si elles sont soutenues par les médecins des services, cela dépend beaucoup de la situation de ces derniers, à savoir s'ils sont aussi en grève ou pas. Quand ils le sont, le service ferme entièrement ses portes. Sinon, les manips sont assignés. L'une des trois femmes, syndiquée à la CGT, ne s'en étonne pas : "Le fait d'avoir toujours travaillé dans ces conditions a donné une mauvaise habitude aux radiologues et à la direction de l'établissement. Lorsqu'on souhaite reprendre ses droits, c'est la croix et la bannière."
Elles réclament une augmentation de 300 euros sur leur salaire (pas sur les primes qui ne comptent pas pour la retraite). C'est le cas aussi de Floriane, 28 ans, une sage-femme qui travaille depuis cinq ans à Lariboisière. Pour un travail alternant le jour et la nuit et trois week end sur quatre à l'oeuvre, elle perçoit 2 000 euros, "avec une prime de 1,07 euro par heure travaillée la nuit", s'indigne-t-elle. "Pour cinq ans d'étude et une responsabilité énorme, cela fait léger. Sur 12H30 de garde, on n'a pas tous les jours le temps de manger, ni même d'aller aux toilettes ou de boire... Alors que notre métier est passionnant, pourquoi toujours niveler par le bas ? Sans compter les patientes sur des brancards dans les couloirs qui en patissent..."
Ce manque d'attractivité et cette crainte pour la retraite se retrouvent partout à l'hôpital public et aussi chez les infirmières, comme le raconte Laure, 38 ans, qui travaille au CHU de Besançon depuis dix-sept ans : "Depuis 2008, on assiste à une dégradation permanente. Cette réforme des retraites nous achève car on n'aura jamais les moyens physiques de tenir jusqu'à 64 ans. Il faut embaucher des personnels, mais aussi réouvrir les lits qui ont été fermés". Elle cite un exemple édifiant : "Cet été, quatre nouveaux infirmiers sont arrivés et ont déjà mis fin à leur contrat à cause de leurs conditions de travail." Sa collègue de défilé indique que nombre d'entre eux partent travailler en Suisse !
Le malaise est aussi présent chez les médecins. Exemple avec Damien, 46 ans, neurochirurgien chez Henri-Mondor, qui se préoccupe d'abord des conditions de travail avant sa future retraite. Ce praticien a rejoint cet établissement après avoir exercé à Lariboisière. Mais la situation est encore pire que dans son établissement précédent : "Notre niveau d'équipement est catastrophique. J'ai vécu une situation très difficile avec des réductions d'investissements pour les blocs opératoires. On ne fait que reporter les opérations et de déprogrammer nos patients. On finit par opérer ceux qui ne peuvent vraiment plus attendre.." Selon lui, les efforts d'efficience et d'organisation sont menés depuis des années. Du fait de ses voyages en Europe, il rencontre d'autres hospitaliers et visite des hôpitaux aux Pays-Bas et en Italie : "Les blocs opératoires y sont bien plus modernes et mieux équipés. L'instrumentation et la recherche sont bien supérieures aux nôtres."
Grève du codage
Ce qui règne même chez les médecins, c'est le sentiment d'impuissance raconté par le Pr Bouscaret, hématologiste et chef de service à l'hôpital Cochin. Outre la grève du codage que son service pratique depuis des semaines sur les hôpitaux de jour, le sentiment de ne plus bien faire son travail prédomine. Et cela se voit sur le terrain avec par exemple l'absence d'accueil et de secrétaire dans les services. Ce chef de service mentionne aussi les économies aberrantes qui désorganisent le système de soins : "A la Pitié, il n'y a que deux ambulances pour transporter les patients pour faire des examens dans des services souvent très proches (400 mètres par exemple pour faire un scanner). Et puisqu'on n'a pas de brancardier, on est obligé de reporter les RDV et de garder les patients en hospitalisation plus longtemps." Il n'adresse aucun reproche particulier à la ministre Agnès Buzyn, hématologue comme lui : "Quand on occupe une place comme la sienne, on ne peut pas toujours faire ce qu'on veut." Le praticien appelle à une réforme en profondeur. Pour cela, des Etats généraux de la médecine organisés par le Premier ministre permettraient d'entamer une véritable réflexion sur le système de santé. "Comment allons-nous gérer les thérapeutiques de plus en plus coûteuses ? Où va-t-on mettre nos priorités ?" Le débat est lancé... Mais qui au Gouvernement va lui répondre ?
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