IJ : ciblés par le plan de la Sécu, des généralistes témoignent

Publié le 14/07/2015

Crédit photo : VOISIN/PHANIE

Début juin, la CNAMTS annonçait un plan d’action pour réguler les dépenses d’indemnités journalières (IJ). Dans son collimateur : les médecins et plus particulièrement les « gros prescripteurs ». La caisse veut cibler les médecins qui prescrivent « à la fois plus d'arrêts et des arrêts plus longs que leurs confrères, à patientèle comparable », leur promettant une surveillance « renforcée ». Effectivement depuis quelques semaines les courriers ont commencé à arriver plus nombreux chez les généralistes. Le Dr Marcel Garrigou-Grandchamp responsable de la cellule juridique de la FMF le dit :« depuis 15 jours j’ai dû recevoir au moins une centaine de coups de fil de généralistes ayant reçu des courriers ». « La corde se resserre. Avant ils épinglaient des médecins avec 5 % d’écarts types par rapport à la moyenne régionale, là certains médecins qui me contactent sont à 3 % d’écarts types » ajoute-t-il.

C’est le cas de Véronique Moller. Cette généraliste de 54 ans à Magny-les-Hameaux (Yvelines) est à 3,25 % au-dessus de la moyenne régionale. Le 12 mai elle reçoit une première visite pour l’informer de prescriptions d’arrêts maladie trop importants, le 25 juin une lettre de la Caisse arrive lui demandant de se justifier sous peine de mise sous objectifs. La généraliste finit sa journée et ferme son cabinet, elle n’y est pas retournée depuis. « C’est très fatigant, on a l’impression d’être punie parce qu’on est médecins » confie-t-elle. « Et puis on culpabilise, j’ai essayé de réfléchir un peu, de me dire "est ce que j’ai des patients qui essaient de profiter de moi?" ».

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La généraliste sait déjà qu’elle refusera la mise sous objectifs et attend avec appréhension sa confrontation avec sa cpam : « je ne vais pas me laisser déchiqueter ». Véronique Moller justifie ses prescriptions d’IJ notamment par une patientèle très importante « entre mon associée et moi, on voit 2200 personnes différentes » explique-t-elle, « de plus on est dans une ville où il y a beaucoup d’ouvriers » une population plus sujette donc aux arrêts maladie. Le Dr Moller, très marquée par la situation sait au moins qu’elle peut compter sur le soutien de ses patients et des habitants de Magny : « les gens sont remontés, ils ont envoyé des mails à la Caisse, ils ont fait une pétition ».

Un soutien qui a aussi aidé le Dr Michel Artigues lors de ses problèmes avec la caisse. Le généraliste de Montataire (Oise) faisait partie de la précédente opération menée par la CNAMTS, il y a un an. « En juin 2014, j’ai reçu un papier qui m’expliquait que j’étais en délit statistique car pour la période du 15 septembre au 30 janvier, j’ai donné 4978 jours d’arrêts ». « Je n’ai jamais réussi à avoir le détail de ces arrêts même après l’avoir demandé à de nombreuses reprises ». Le généraliste de 63 ans refusera la mise sous objectif : « c’était comme reconnaître que j’étais coupable ». A la place, Michel Artigues doit se justifier devant la commission des pénalités. « Depuis 2010 on est passé de 10 à 6 médecins sur la commune. Avec mon associé on est en suractivité je reçois entre 50 et 70 patients par jour » explique-t-il; « on est aussi à 30 minutes de l’aéroport Charles de Gaulle. Beaucoup de nos patients travaillent donc là-bas pour Fedex ou UPS, dans des postes où il y a beaucoup de lombalgies. On voit aussi des personnes qui ont des cancers mais ont toujours une activité professionnelle ».

Devant ces arguments, le président de la commission dira au Dr Artigues « je ne sais pas ce que vous faites là », et il sera déclaré non coupable à l’unanimité des membres. Mais le

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président de la caisse ne l’entend pas de cette oreille, il conteste la décision et le médecin est mis sous autorisation préalable. Pendant 2 mois, Michel Artigues envoie donc chacun de ses arrêts maladie pour accord du médecin conseil : « Avec environ 58 patients par jour j’ai fait 157 arrêts de travail sur cette période. J’ai reçu un courrier de la Caisse pour me remercier d’avoir fait baisser de 60 % mes arrêts de travail. Mais je n’ai rien changé du tout, j’ai simplement demandé aux spécialistes de les faire eux quand ils recevaient les patients ».

Le Dr Philippe Brinduse avait lui aussi déjà été rappelé à l’ordre une première fois, il y a trois ans. À l’époque sans suite. Il n’en sera sans doute pas de même de la lettre qu’il a reçue le 25 juin dernier. Dans la missive, le généraliste de Morsang –sur-Orge (Essonne) est pointé du doigt pour 3903 arrêts maladie entre fin septembre et fin janvier, alors que la moyenne régionale est de 1149. Comme ses collègues il met en avant une hausse importante de la charge de travail pour une diminution des médecins. Mais surtout le profil de ses patients : « j’ai beaucoup de gens avec des cancers, des personnes avec des maladies chroniques, des ALD, des polytraumatologies complexes … ». À 58 ans, cet épisode n’encourage pas le médecin à faire du « rab ». « On a l’impression d’être fliqué. Ils découragent les médecins alors qu’il y a déjà une pénurie. Ils veulent se retrouver avec que des médecins salariés tous calqués sur le même format ». Le courrier suffit déjà à peser sur le généraliste « dès qu’on fait un arrêt on y pense » confie-t-il. « À partir du moment où l’on fait rentrer des considérations économiques là où il devrait y avoir de l’humain, ça pose problème ».

 
Amandine Le Blanc

Source : lequotidiendumedecin.fr