Qui ne pourrait approuver le dédoublement des classes de CP et de CE1 en Réseau d'éducation prioritaire ? Cependant, il manque l'essentiel. Et pour comprendre de quel essentiel il s'agit, il me faut faire un petit détour. Chacun se souvient du conflit qui a opposé les associations de parents d'enfants autistes et la majorité des pédopsychiatres français. Les premiers demandant des thérapies efficientes et validées - telles qu'elles se pratiquent dans le monde entier – et les seconds se raccrochant majoritairement à la psychanalyse. La querelle est provisoirement arbitrée, puisque la Haute autorité de santé (HAS), a déclaré, à propos de l'autisme, que « L'absence de données sur leur efficacité, ne permet pas de conclure à la pertinence des interventions fondées sur les approches psychanalytiques ».
Dans nombre de pays, la psychanalyse n'est plus enseignée, car sa valeur « scientifique » est considérée à l'égal de l'astrologie. Nous observons en France, une petite délivrance de l'idéologie psychanalytique pour l'autisme, mais pour tous les autres diagnostics, elle reste toujours dominante. Et en particulier, pour les principales causes psychologiques ou psychiatriques de l'échec scolaire.
Charabia psychanalytique et blabla éducatif
Prenons l'exemple du TDAH (Trouble avec déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité) qui concerne 5 % des enfants et des adolescents et donc, en moyenne, un à deux enfants par classe. Toutes les études internationales montrent que le TDAH représente le motif de consultation le plus fréquent en pédopsychiatrie. Mais en France, même un long parcours de consultation à l'école (psychologue ou médecin scolaire), en ville et en dispensaire (CMP ou CMPP) ne donne aucunement l'assurance d'un diagnostic. On s'expose plus sûrement, au charabia psychanalytique et au blabla éducatif (immaturité, manque de motivation, enfant-roi, etc.).
Autre exemple. L'INSERM publie en 2005, une expertise collective* sur le TC (Trouble des conduites), qui « recommande de mettre en œuvre des programmes de prévention contre la violence très précocement au cours du développement de l’enfant. La période préscolaire semble être la plus favorable aux interventions de prévention du trouble des conduites et de la violence ». Mais aussitôt, des équipées de psychanalystes toujours à la manœuvre pour sauver leur archaïsme, ont lancé la pétition : « Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans » et obtenu des pouvoirs publics le passage à la trappe du rapport de l'INSERM. Autrement formulé, la France s'est privée d'une politique de prévention de la violence scolaire et donc de la violence urbaine, telle qu'elle se pratique avec succès dans de nombreux pays.
Dernier exemple, avec une étude** sur la dyslexie, réalisée en 2005 et portant sur 1 000 enfants de CE1 dans différents quartiers de Paris. Dans les écoles du XVIIIe arrondissement, on relève 25 à 30 % de faibles lecteurs contre 4 % dans les écoles qui bordent la Tour Eiffel. Mais paradoxalement, seuls 18 % des faibles lecteurs des quartiers populaires sont suivis en orthophonie, contre 30 % de… bons lecteurs dans les beaux quartiers. On méditera la conclusion des auteurs de cette étude : « Le fait que même en environnement socioculturel défavorisé, la majorité des enfants apprennent à lire, exclut un facteur purement pédagogique ».
Le ministre Blanquer a presque tout faux
Depuis trente ans au moins, il n'est pas un ministre de l’Éducation nationale qui ne se soit engagé à placer la lutte contre l'échec scolaire, au premier rang de ses priorités. Force est de déplorer que c'est en vain, et ce quinquennat n'y changera rien, car le plan pour l'école de Jean-Michel Blanquer reste – comme tous ceux qui l'ont précédé - exclusivement figé sur une analyse sociale et pédagogique des inégalités scolaires.
La lutte contre l'échec scolaire restera une cause perdue, tant que l’Éducation nationale ne condescendra pas à entendre que si un enfant a des troubles des apprentissages, de la personnalité ou du comportement et s'il ne reçoit aucune aide thérapeutique de qualité, il gardera ses troubles, même dans une classe à petit effectif et même si l'on s'efforce de « renforcer la maîtrise des fondamentaux ».
La lutte contre l'échec scolaire restera une cause perdue, tant que nous ne disposerons pas en France d'une pédopsychiatrie publique, d'une médecine scolaire, d'une psychologie scolaire et d'une formation des enseignants au rang qualitatif de ce qui se pratique dans les autres pays développés.
On brandit souvent l'argumentaire social pour s'opposer à une « médicalisation » ou une « psychiatrisation » de l'échec scolaire. C'est une opposition factice, il suffit de comparer les parcours de soins des enfants en difficulté scolaire. Dans les quartiers populaires, ce sont souvent deux années d'attente pour obtenir une consultation pédopsychiatrique et échoir finalement dans un CMP freudien ou un CMPP lacanien. Des années perdues et un risque accru d'échec scolaire et de déscolarisation. Dans les beaux quartiers, les accès au discernement et les offres de consultation sont beaucoup plus diversifiés, et tôt ou tard, on finit par distinguer le bon grain thérapeutique de l'ivraie idéologique.
Les inégalités scolaires sont liées aussi à des inégalités d'accès à de bons soins.
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* https://hal-lara.archives-ouvertes.fr/hal-01570665/document (Le trouble des conduites chez l'enfant et chez l'adolescent, INSERM, Institut national de la santé et de la recherche médicale)
**www.afpssu.com/wp-content/uploads/2014/08/BILLARD_evolution_de_la_lectu…
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