Brève

Pr André Grimaldi : "L'hôpital public est mort... certains le disent ouvertement"

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Publié le 11/06/2020
Le Pr André Grimaldi, médecin diabétologue à l'AP-HP et membre du Collectif Inter-Hôpitaux, décrit la déception des participants au Ségur de la Santé. Le gouvernement aurait dû faire un premier geste significatif en octroyant une enveloppe sur les revalorisations salariales (promesse du président Macron), plaide-t-il. Entretien.
AP-HP

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Crédit photo : S. Toubon

Le choix de Nicole Notat à la tête du Ségur de la Santé était-il le bon ?

Evidemment cela n'a pas plu aux syndicats. C'est une des raisons pour laquelle Sud Santé a claqué la porte. Ce qui est plus surprenant, c'est qu'en parallèle le gouvernement travaille actuellement sur le budget de l'hôpital, sans en rapporter aux participants du Ségur qui discutent de la place de l'hôpital, de la gouvernance, des territoires... Bref, le sentiment général est que le gouvernement cherche à gagner du temps. On attend pourtant les chiffres de l'Ondam qui sont négociés dans le dos du Ségur, mais on ne voit rien venir.

Les participants au Ségur se sont même plaints du fait qu'une seule réunion a lieu par semaine...

Certes, la méthodologie des débats est effrayante : aucun texte de propositions n'est fourni, des rapports sont envoyés la veille de la réunion, l'improvisation est de mise. Bref, les participants ont l'impression d'être embarqués dans une communication politique. Une chose est significative, dans la convocation au Ségur, les termes d'"hôpital public" et "service public hospitalier" n'ont jamais été employés. Cela avait déjà été le cas lors de la présentation du plan Ma Santé 2022.

Est-ce qu'on a voulu aller trop vite ?

Pas du tout. Comme lorsqu'on lance un grand plan quel que soit le secteur, une enveloppe chiffrée est donnée. Pour l'hôpital, on aurait pu souhaiter que la France se retrouve parmi les dix premiers pays de l'OCDE en ce qui concerne la moyenne des salaires hospitaliers. Or aucun objectif chiffré n'a été donné. Et surtout il n'y a pas de négociation à proprement parler qui serait le résultat d'une grève, il s'agit en fait d'une concertation lancée suite aux propos du président de la République selon lequel « les salaires sont indignes, la santé n'est pas une charge mais une chance, il faut revaloriser les métiers essentiels ». Mais en même temps, selon le Premier ministre, « le cap doit être maintenu ». Dans son discours, il a pris le contrepied absolu des propos du président de la République. Pis, Nicole Notat affirme qu'elle n'est pas là pour faire des propositions. Pourtant, à l'AP-HP avant la crise de la Covid, 800 postes d'infirmières étaient encore vacants.

Quel est l'état du moral actuel des hospitaliers ? Vont-ils faire grève le 16 juin prochain suite au préavis lancé par les syndicats ?

En plus de la colère, il peut y avoir le découragement, le rebond psychologique suite à la crise. Ils ont le sentiment que la crise n'est pas terminée et ce sont surtout les syndicats qui sont mis en avant et qui avaient pour optique de négocier sur les salaires.  Le Collectif inter-hôpitaux devrait lancer un appel à la population à venir soutenir l'hôpital public avant le discours d'Emmanuel Macron de 19 H à 20 H.

Et surtout certains le disent déjà ouvertement : l'hôpital public est mort, il faudrait passer au privé non lucratif où tout le monde sera sous contrat et où les manipulateurs radios seront par exemple mieux rémunérés parce qu'ils rapportent. On reviendrait ainsi à la logique de marché, soit l'hôpital de flux (pas de stock) qui a été appliqué pour les masques et les stocks de médicaments. Deux anciens ministres de la Santé, messieurs Leonetti et Evin ont même suggéré de privatiser l'hôpital dans une tribune du Figaro. Cette solution ménerait à sélectionner les spécialités les plus rentables et à faire varier les salaires en fonction de la rentabilité des gens, et en cas de faillite, d’être racheté par des chaînes commerciales.

Pourtant le volet recherche à l'hôpital a été boosté par ce gouvernement...

Certes, un effort de 5 milliards pour l'ensemble de la recherche a été annoncé, mais pour autant la France a complètement décroché par rapport à l'Allemagne qui ces dernières années a augmenté son volet recherche de 50%. En témoigne le budget 2019 de la France en régression par rapport à celui de 2018. Bref, notre pays est encore très loin de l'objectif de 3% du PIB.

Retrouvez ici le programme en santé des jours heureux écrit par André Grimaldi avec Olivier Milleron, François Bourdillon et et le Collectif Inter hôpitaux.

 


Source : lequotidiendumedecin.fr