La suppression (provisoire) de l'Aide médicale d'État (AME) par le Sénat, remplacée par une aide médicale d'urgence, dans le cadre du projet de loi immigration, n'en finit pas de provoquer des remous dans la profession. Dix jours après l'appel de 3 000 soignants dans une tribune au Monde, 3 500 médecins hospitaliers et libéraux viennent de lancer à leur tour un appel à la « désobéissance » si l’AME venait à disparaître, comme le souhaite une grande partie de la droite. « Moi, médecin, déclare que je continuerai à soigner gratuitement les patients sans papiers selon leurs besoins, conformément au serment d’Hippocrate que j’ai prononcé », proclament les praticiens signataires.
Deux psychiatres chefs de service à l'initiative
« Je resterai indifférent à leurs conditions sociales ou financières, ainsi qu’à leur langue et leur nationalité », peut-on lire encore dans ce texte lancé par deux psychiatres chefs de service dans les hôpitaux Henri Mondor (Créteil) et le centre hospitalier intercommunal de Créteil, les Prs Antoine Pelissolo et Jean-Marc Baleyte. « La déontologie prescrit le juste soin pour chaque personne qui me consulte. La sagesse dénonce la faute éthique et en passant l’erreur épidémiologique », poursuivent-ils. Avant de conclure, « Patients d’ici et d’ailleurs, ma porte vous est ouverte. Et le restera. »
Contactée ce lundi par Le Quotidien, la Dr Anne Gervais, signataire de l’appel et membre du collectif inter-hôpitaux (CIH), rappelle que tous les médecins doivent exercer leur profession « avec honneur, probité, et indépendance ». « Et l’honneur consiste à préserver la santé sans discrimination », insiste la gastro-entérologue de Bichat (AP-HP). Elle estime comme ses confrères et consœurs que la suppression de l’AME « contreviendrait au serment d’Hippocrate ». D’autant qu'il demande aux médecins de « donner des soins à l'indigent et à quiconque le demandera ». Abandonner l’AME serait également une hérésie sanitaire et économique. « Il est préférable de faire des soins de prévention, des soins de maladies chroniques, plutôt que de faire des soins d’urgence. Car cela finit par coûter plus cher quand cela se transforme en une maladie grave », explique la gastro-entérologue pour qui cette réforme n’aurait « aucun sens d’un point de vue épidémiologique ».
« On devrait attendre que les gens soient plus gravement malades pour les prendre en charge ? C’est exactement l’inverse de ce qu’on nous a appris ! », abonde aussi le Pr Rémi Salomon, le patron de la conférence nationale des présidents de CME de CHU.
Un appel au succès viral
Le Dr Olivier Milleron, également membre du CIH et cardiologue à Bichat, partage cette analyse. « Si on laisse traîner des gens avec des maladies contagieuses, cela peut aussi devenir dangereux pour la population générale. » Ce dernier se réjouit de la vitesse de propagation de l’appel pour défendre l'AME, très largement relayé par mail ces derniers jours. « Je l’ai reçu par deux ou trois canaux différents. Il s’agissait de boucles mails qui demandaient aux médecins de signer », précise le médecin parisien. Parce que la suppression de l’AME serait « illégitime », il désobéira si la réforme était adoptée.
Concrètement, cela signifie qu’il recevrait les patients concernés dans son bureau, « sans qu’ils aient à passer par les admissions ». Après examen, il ferait en sorte « de leur prescrire des médicaments qui ne coûtent pas cher ». Autre possibilité évoquée, « faire des certificats d’urgence pour que les personnes soient acceptées à l’hôpital ». « On pourrait tout à fait mettre dans la catégorie urgences un patient qui a une douleur thoracique », illustre-t-il.
« S'attaquer aux plus pauvres »
D’autres médecins, comme le Dr Claude Pigement, gastro-entérologue à la polyclinique d'Aubervilliers (93) admettent que cet appel à la désobéissance pourrait s’avérer « compliqué ». Dans sa clinique, « les malades passent à la caisse d’abord », précise l’ancien responsable santé du PS. Et d’évoquer surtout le problème des médicaments et examens complémentaires plus coûteux, par exemple pour la prise en charge de l'hépatite C. « Je fais beaucoup de fibroscopies et de coloscopie, des actes qui ne seraient plus pris en charge et qui coûtent plusieurs centaines d’euros… ».
Également contacté ce lundi, le Dr Patrick Pelloux, envisage de mettre les patients « sous X » à l’hôpital. Une chose est sûre pour le président de l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf), si l’AME était supprimée, cela « creuserait le déficit des hôpitaux ». Si ces patients « ne sont pas soignés en préventif contre la tuberculose ou l'hypertension artérielle, on les soignera en réanimation pour tuberculose multirésistante, disséminée… », pronostique l’urgentiste parisien. Commentaire du Dr Pelloux : « c’est facile de s’attaquer aux plus pauvres et de ne pas cibler les plus riches, originaires du Qatar ou d’Arabie saoudite, qui viennent se faire soigner dans notre pays. »
Marchepied électoral
Généraliste au centre de santé municipal de Champigny-sur-Marne, la Dr Julie Chastang, autre signataire, estime que supprimer l’AME serait « une erreur économique profonde ». Quant à l’idée selon laquelle les étrangers viennent en France se faire soigner gratuitement, « je ne sais pas d’où sort une telle énormité. J’aimerais que l’on sorte de tout ça par le haut et que la polémique récurrente autour de l’AME s’arrête », poursuit la vice-présidente du Collège de médecine générale. Abolir l’AME serait selon elle « un non-sens humain, éthique, sociétal et économique ». Derrière cette réforme, il y aurait « la volonté de créer un débat public de bas étage, populiste et inadapté ».
J’aimerais que l’on sorte de tout ça par le haut et que la polémique récurrente autour de l’AME s’arrête - Dr Julie Chastang, vice-présidente du Collège de médecine générale
Quant au Dr Jérôme Marty, président de l’UFML-S, également signataire de l’appel, il suspecte les politiques favorables à la suppression de l’AME de « se servir de la précarité comme d’un marchepied électoral ». « Leur seule idée, c’est de flatter un électorat raciste qui n’est pas négligeable en France », juge le généraliste de Fronton qui milite pour « soigner tout le monde, quelle que soit son origine, sa couleur de peau ou son niveau social ».
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