LE QUOTIDIEN : Après six mois de négociations, croyez-vous avoir enfin trouvé les conditions pour obtenir un accord majoritaire avec les médecins libéraux ?
THOMAS FATÔME : Nous le saurons dans les prochains jours. Une chose est sûre, nous n’avons pas ménagé notre énergie pour y arriver ! Aujourd’hui, nous avons mis sur la table un projet de convention très ambitieux. Je souhaite qu’une large majorité de syndicats adhèrent à cette convention car je suis convaincu qu’elle répond aux enjeux majeurs que sont l’attractivité de la médecine libérale et l’accès aux soins.
Avez-vous le sentiment d’être allé au bout ? Votre copie peut-elle encore bouger dans les prochains jours ou le texte est-il à prendre ou à laisser ?
Tout au long de ces six mois, nous sommes restés fidèles à notre mandat, aux objectifs fondamentaux que nous avions partagés avec les syndicats : l’attractivité de la médecine libérale, l’accès aux soins, la qualité mais aussi la transformation de la rémunération. Et oui, nous avons fait évoluer notre copie jusqu’au dernier moment, notamment sur le calendrier des revalorisations pour pouvoir trouver un équilibre et permettre à cette convention de voir le jour. Soyons très clairs, 30 euros dès décembre 2024, c’est inédit en termes de rapidité d’une augmentation de la consultation, par ailleurs elle-même inédite.
L’Assurance-maladie n’avait pas l’obligation de réengager cette discussion au mois de novembre dernier mais nous avons souhaité le faire, convaincus que le statu quo n’était bon pour personne. Ensuite, nous avons voulu aboutir rapidement pour que la convention produise ses effets car la situation actuelle du règlement arbitral ne nous satisfait pas. Le texte finalisé est maintenant soumis à la signature de chaque syndicat qui réunira ses mandants dans les prochains jours afin de se positionner. Chacun doit désormais se prononcer.
Espérez-vous l’engagement de tous les syndicats ? MG France refuse la cotation de l’APC à 60 euros par le spécialiste à la demande d’un autre spécialiste, sans passer par le médecin généraliste traitant…
Je réaffirme que nous sommes en soutien des médecins généralistes traitants et d’un parcours organisé entre les médecins traitants et les spécialistes de second recours. Notre objectif est d’aboutir à un dispositif opérationnel qui ne dépossède pas le rôle du médecin traitant mais qui soit simple et efficace pour le patient et permette de s’appuyer sur l’expertise des spécialistes.
Le gouvernement est-il intervenu dans les ultimes arbitrages ?
L’Uncam engage des négociations conformément à un mandat défini par le ministre de la Santé et aux orientations de son conseil. Vu l’importance des sujets, et l’investissement financier, il y a un échange régulier avec les ministres en charge et leurs équipes.
Quel sera le montant de l'effort financier de la Cnam en année pleine ?
Le montant financier est de 1,6 milliard d’euros uniquement pour l’Assurance-maladie. L’entrée en vigueur rapide de mesures fortes comme la hausse du G à 30 euros dès 2024 se traduira en 2025 par un investissement financier élevé. Alors que l’Assurance-maladie connaît une situation financière difficile, cela démontre bien notre volonté d’investir significativement sur la médecine libérale.
Quel est le montant de l’engagement financier des organismes complémentaires santé (Ocam) ? Comment vont-ils être impliqués ?
En intégrant la participation des complémentaires santé, le montant total de l’investissement représente une enveloppe de 1,9 milliard d’euros pour cette convention.
La demande des complémentaires de supprimer la taxe qui finance aujourd’hui les forfaits pour leur permettre d’y contribuer directement est ancienne. La participation des complémentaires sur les nouveaux modes de rémunération se travaille déjà, notamment dans le cadre des dispositifs expérimentaux innovants de l’article 51. Donc, lorsque nous travaillerons sur le nouveau mode de rémunération collectif forfaitaire proposé dans cette convention, nous y associerons les assureurs complémentaires car nous n’avons pas vocation à être financeur intégral de ce nouveau dispositif à la capitation.
Les spécialistes jugent l’accord déséquilibré. Que leur répondez-vous ?
Nous avons été très à l’écoute de leurs préoccupations. Nous avons mis le paquet sur plusieurs spécialités cliniques comme la psychiatrie, la pédiatrie, l’endocrinologie ou la rhumatologie. Nous avons aussi prévu une enveloppe importante pour accompagner les revalorisations de la CCAM technique (classification commune des actes médicaux, NDLR), le cumul des actes techniques et cliniques, une revendication forte et de longue date des médecins, ou encore l’amélioration de l’Optam (contrats de modération des dépassements d’honoraires, NDLR) avec l’évolution des périodes de référence. Sincèrement, je pense que cette convention est aussi très ambitieuse pour les spécialistes.
Le calendrier étalé des revalorisations a été une pomme de discorde. Pouvez-vous expliquer votre choix ?
C’est le propre d’une négociation que d’essayer de trouver des équilibres jusqu’au bout, de tester des scénarios. L’étalement des revalorisations d’honoraires n’avait rien d’absurde ni d’inconcevable mais à partir du moment où c’était un point bloquant, nous n’avons pas hésité à faire bouger les lignes. En resserrant le calendrier, nous avons démontré que nous étions capables d’adapter nos propositions, dans la fidélité au mandat qui était le nôtre.
Outre le calendrier, quels ont été les points les plus conflictuels ?
Quand vous négociez un accord, il faut parvenir à réconcilier des visions qui peuvent avoir des points de départ très différents. Ainsi, pour les syndicats, la consultation à 30 euros, constitue simplement un rattrapage ; pour l’Assurance-maladie, il s’agit d’un investissement massif et inédit. Pour faire converger ces visions, il a fallu du temps, de l’écoute et de nombreux échanges. C’est ce que nous n’avions pas réussi à accomplir la fois précédente. On a appris, on a changé de méthode, modifié nos propositions. J’espère que les syndicats saisiront cette opportunité historique.
Les engagements réclamés sur l’accès aux soins sont certes collectifs mais assortis d’indicateurs précis. Avez-vous prévu un mécanisme de sanction en cas de dérapage dans un an ? Certaines hausses de tarifs sont-elles conditionnelles ?
Il ne s’agit en aucune façon d’objectifs individuels à atteindre, avec sanction à la clé s’ils ne sont pas respectés. Nous avons mûri notre projet par rapport à la proposition précédente de l’engagement territorial (CET), qui avait été mal perçue. Avec les syndicats, s’ils signent bien sûr cette convention, nous allons nous mobiliser collectivement pour qu’il y ait davantage d’assistants médicaux formés, moins de patients ALD sans médecin traitant… Sur chacun des dix indicateurs définis, nous allons nous mobiliser et nous engager, conjointement, Assurance-maladie et médecins libéraux.
Comment allez-vous juger des résultats ?
Avec la création de l’Observatoire de l’accès aux soins qui se réunira au moins deux fois par an. Cela nous permettra de voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, de décider le type d’actions à mener. Cela va rythmer la convention, non seulement au niveau national, mais aussi au niveau local. L’Assurance-maladie mobilisera son réseau territorial, avec les représentants des médecins, les commissions paritaires, pour que cette dynamique opère. C’est une première dans l’histoire des conventions que de définir ensemble ces engagements collectifs.
Je le sais, il nous faudra bien expliquer les choses. J’ai perçu la méfiance de la part des médecins, leur crainte qu’on revienne sur des obligations individuelles mais ce ne sera pas le cas. La dynamique conventionnelle a vocation à être forte. Je fais confiance aux médecins. Si on signe ensemble, on se mobilisera ensemble.
Craignez-vous encore des vagues de déconventionnement, à l’instar de la Corse ?
Encore une fois, je souhaite maintenant que cette convention soit signée et portée le plus largement possible. Elle sera une réponse très forte à ceux qui ont fait le choix du déconventionnement en montrant au contraire la force de la convention médicale et du soutien de l’Assurance-maladie. Le choix politique assumé d’avoir des niveaux de revalorisations très importants dans des délais aussi rapprochés, c’est aussi le choix de démontrer que les tarifs de la Sécurité sociale ont un sens pour que, justement, les médecins ne soient pas tentés de sortir du cadre conventionnel. J’ajoute qu’il y a un autre niveau de lecture, plus institutionnel.
La piste d'une convention séparée généralistes et spécialistes serait-elle envisageable ?
Aujourd’hui, quand on parle de parcours de soins et de coordination des prises en charge, il est impossible de concevoir des exercices distincts entre ce que serait le monde des médecins généralistes et le monde des médecins spécialistes. L’exercice conventionnel lui-même impose que l’ensemble des partenaires parviennent à trouver des terrains d’équilibre dans ce jeu à trois bandes qui demande des compromis de tous les acteurs. Cette logique est un cadre exigeant pour tous les négociateurs. Je veux croire à une signature qui montre que le système fonctionne.
Et s’il n’y avait pas d’accord ?
Après que le DG de la Cnam a remis sa copie aux syndicats de libéraux le 17 mai, la balle est désormais dans le camp des médecins. Et s’ils ne signaient pas, que se passerait-il ? Interrogé sur la question, Thomas Fatôme rejette une telle hypothèse. « Ce n’est pas le scénario dans lequel je me projette car j’ai tout fait pour proposer un projet qui permette l’adhésion d’un maximum de syndicats », confie-t-il au Quotidien.
Mais s’il y a désaccord, cela signifierait tout bonnement « le retour du règlement arbitral ». « Il n’y aurait ainsi ni avenant tarifaire dans les prochains mois ni revalorisations très attendues des actes techniques en 2026, soit un blocage du système, analyse le directeur général. Alors que nous avons construit depuis six mois un projet ambitieux avec un investissement financier très important, ce serait incompréhensible et un deuxième échec porterait un coup très rude peut-être même mortel à la négociation conventionnelle elle-même. »
Le système conventionnel pourrait-il survivre à un deuxième échec ? « Je ne le pense pas, ou il aura bien du mal à s’en remettre », redoute Thomas Fatôme. Le patron de la Cnam le rappelle : « Ce projet de convention offre un cadre ambitieux et favorable pour les médecins. C’était nécessaire. »
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