L'alcool en France

Comment infléchir la consommation ?

Publié le 21/10/2019
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Alors que la consommation d’alcool en France diminuait ces dernières décennies, elle stagne aujourd’hui à un niveau encore trop élevé, occasionnant 41 000 décès/an. Comment repérer et prendre en charge le mésusage de l’alcool afin de réamorcer une tendance à la baisse ?
Figure 1 : les patients dépendants consomment la moitié de l’alcool vendu

Figure 1 : les patients dépendants consomment la moitié de l’alcool vendu
Crédit photo : DR

Des données récentes concernant la consommation d’alcool, les comportements et les conséquences pour la santé des Français sont disponibles. Après 50 ans de baisse régulière, la consommation d’alcool s’est stabilisée à un niveau élevé de 11,7 litres d’alcool pur/habitant/an en 2017, avec une grande hétérogénéité des modes de consommation. On observe une consommation quotidienne d’alcool surtout chez les 65-75 ans (26 %) et chez les hommes trois fois plus que chez les femmes. Chez les 18-24 ans, à l’inverse, il s’agit d’alcoolisations ponctuelles importantes (≥ 5 verres par occasion) qui sont régulières (≥10/an) chez 20 % d’entre eux [1]. Toutefois, la majorité consomme modérément tandis que les patients dépendants consomment la moitié de l’alcool vendu (figure 1). Selon l’OFDT, le coût social de l’alcool serait de 120 milliards par an [2].

Pas plus de deux verres/jour, pas tous les jours

Du point de vue de la santé, la mortalité attribuable à l’alcool est élevée : 7 % des décès en 2017 c’est-à-dire 41 000 morts (75 % d’hommes). Elle est secondaire à des cancers (39 %), des maladies cardiovasculaires (24 %), digestives – essentiellement des cirrhoses — (16 %), accidents et suicides (13 %), maladies neuropsychiatriques (8 %) [3]. Les minimes et très sélectifs effets protecteurs de l’alcool sont réduits à néant par ses effets délétères en cas de consommation quotidienne même en petite quantité [4]. Dans un travail réalisé sous l’égide de Santé publique France et l’Institut national du cancer (INCa) en 2017, les experts ont tenté de trouver un compromis entre les risques attribuables à l’alcool au sein d’une population et le risque acceptable pour un individu qui choisit d’en consommer en connaissance de cause. Ils ont proposé des repères pour la consommation : ne pas dépasser deux verres par jour (un verre standard contient 10 g d’alcool pur) avec au moins deux jours par semaine sans consommation [5]. Le mésusage d’alcool est donc une cause majeure de mortalité évitable. Il existe un continuum entre l’usage simple et le mésusage d’alcool qui recouvre l’usage à risque, l’usage nocif (complications médicales, sociales, professionnelles, judiciaires) et la dépendance [6].

Un AUDIT pour repérer le mésusage

Des indicateurs sociaux et médicaux peuvent faire suspecter un mésusage d’alcool. En hépato-gastro-entérologie, le praticien se trouve généralement déjà face à une complication somatique comme une maladie du foie liée à l’alcool, telle qu’une cirrhose (responsable de 6 000 décès par an par), souvent associée à un syndrome dysmétabolique, une pancréatite chronique calcifiante, une gastrite… Mais le repérage devrait être fait de façon systématique. En consultation, on peut utiliser le questionnaire AUDIT-C, qui correspond aux trois premières questions de l’auto-questionnaire AUDIT. Un score ³ 3 chez la femme et ³ 4 chez l’homme doit faire évoquer un mésusage de l’alcool. 

Vers l’abstinence ou la réduction de la consommation ?

En cas de mésusage sévère (usage nocif, dépendance), ce repérage doit être suivi de l’orientation vers une équipe spécialisée en addictologie. La recherche d’autres addictions (tabac, drogues, comportementales) et des autres complications (cardiovasculaires, neurologiques et psychiatriques) doit être systématique. L’évaluation sociale prendra en compte la qualité de l’entourage, le mode d’hébergement, la situation professionnelle, financière et judiciaire. La dépendance à l’alcool étant une maladie multifactorielle, sa prise en charge doit être pluridisciplinaire : médicale, psychologique et sociale. L’objectif thérapeutique s’inscrit dans un projet de soins défini avec le patient vers l’abstinence ou la réduction de la consommation. L’abstinence est l’objectif le plus sûr en cas de dépendance à l’alcool et/ou comorbidité physique ou psychiatrique. Si le patient ne souhaite pas s’engager vers l’abstinence, il faut envisager un accompagnement vers la réduction de la consommation qui devrait viser à ne pas dépasser 10 verres par semaine. Parmi les médicaments indiqués dans le maintien de l’abstinence, l’acamprosate et la naltrexone sont les plus utilisés, le disulfirame ayant des effets indésirables liés à son mode d’action antabuse. Le nalméfène est autorisé dans la réduction de consommation. Le baclofène fait l’objet d’une recommandation temporaire d’utilisation, en attendant une AMM, pour le maintien de l’abstinence et la réduction de la consommation. Seuls l’acamprosate et le baclofène peuvent être utilisés en cas de cirrhose décompensée. Ces médicaments doivent être associés à un accompagnement psychosocial adapté : interventions brèves, entretiens motivationnels et thérapies cognitivo-comportementales bénéficient d’un niveau de preuve d’efficacité satisfaisant. La prise en charge est ambulatoire et prolongée, elle peut comporter des hospitalisations conventionnelles de courte durée pour sevrage et/ou bilan somatique ou de plus longue durée en soins de suites et réadaptation addictologiques, éventuellement en hôpital de jour spécialisé. La participation à des associations d’entraide peut également améliorer le pronostic addictologique. Il est habituel que le parcours des patients ayant un mésusage de l’alcool ne soit pas linéaire en termes de consommation, de motivation, d’objectif de consommation. Les professionnels de santé doivent adapter leurs interventions à ces changements. Il est important que les équipes d’hépato-gastroentérologie et d’addictologie puissent travailler en coopération étroite autour de ces patients, dont la maladie chronique peut être source d’épuisement, afin d’améliorer leur prise en charge et leur donner toutes les chances de guérir. 

Hépato-gastroentérologue et Addictologue, Equipe de Liaison et de Soins en Addictologie et service d’Hépato-Gastroentérologie, CH Intercommunal de Créteil  
1. Richard JB, Andler R, Cogordan C, Spilka S, Nguyen-Thanh V et le groupe Baromètre de Santé publique France 2017. La consommation d’alcool chez les adultes en France en 2017. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(5-6):89-97. http://invs.santepublique france.fr/beh/2019/5-6/2019_5-6_1.html
2. Kopp (P.), Le coût social des drogues en France, OFDT, 2015, Saint-Denis, 75 p. https://www.ofdt.fr/publications/collections/rapports/rapports-d-etudes…
3. Bonaldi C, Hill C. La mortalité attribuable à l’alcool en France en 2015. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(5-6):97-108. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2019/5-6/2019_5-_2.html
4. GBD 2017 Risk Factor Collaborators. Global, regional, and national comparative risk assessment of 84 behavioural, environmental and occupational, and metabolic risks or clusters of risks for 195 countries and territories, 1990-2017: A systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2017. Lancet.2018;392(10159):1923-94.
5. Santé publique France, Institut national du cancer. Avis d’experts relatif à l’évolution du discours public en matière de consommation d’alcool en France. Saint-Maurice: Santé publique France; 2017. 149 p.https://www.santepubliquefrance.fr/Actualites/Avis-d-experts-relatif-a-…
6. Mésusage de l’alcool : dépistage, diagnostic et traitement. Recommandation de bonne pratique. Alcoologie et Addictologie. 2015;37 (1):5-14.http://www.sfalcoologie.asso.fr

Dr Camille Barrault
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Source : lequotidiendumedecin.fr