La loi Évin 30 ans après, un jalon salué mais chahuté de la lutte contre l'alcool et le tabac

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Publié le 12/01/2021

Crédit photo : PHANIE

Il y a 30 ans, la loi Évin introduisait les outils qui allaient définir la lutte contre la consommation d'alcool et de tabac en France : encadrement strict de la publicité et de la vente, obligation d'information et sortie du tabac du calcul de l'indice des prix. Un colloque organisé par l'institut Droit et Santé de l'Inserm a souligné à quel point l'héritage de cette loi est à la fois capital et fragile.

L'encadrement du prix a permis aux gouvernements successifs d'augmenter progressivement les prix du tabac, la mesure la plus efficace à ce jour. Entre 2000 et 2020, le prix du paquet de cigarette est passé de 3,2 à 10 euros, tandis que les ventes de cigarettes se sont effondrées, passant de 82,5 milliards d'euros à 36 milliards. « Le plateau du prix entre 2004 et 2017 correspond à un plateau de la consommation, précise le Pr Loïc Josseran, président de l'Alliance contre le tabac. Cette action sur le prix est un héritage épidémiologique de la loi Évin, et a eu un effet beaucoup plus significatif que la mise en place du paquet neutre. »

Pour Loïc Josseran, le prix du tabac doit continuer à augmenter significativement. « Il arrivera un moment où le prix de 10 euros sera intégré et la consommation réaugmentera », prédit-il.

Une grande loi, simple et courte

« La loi Évin est une grande loi, à la fois simple et courte, résume le Pr François Bourdillon, ancien directeur général de l'agence Santé publique France en ouverture du colloque. C'est aussi une loi à haut risque car elle visait l'interdiction de fumer dans les bars et restaurants : les débats parlementaires ont été rudes. »

Dans le bilan qui dresse des 30 ans écoulés depuis l'adoption de la loi, le Dr Bernard Basset, vice-président de l'association Addictions France estime que la loi Évin « a créé un environnement structurel favorable à la santé publique », mais que son contenu différait selon qu'il s'agisse d'alcool ou de tabac. « Pour le tabac, le texte est rigide, épuré et simple. Pour l'alcool on a affaire à un texte d'encadrement », constamment « grignoté » depuis, poursuit-il.

Dès l'écriture de la loi, l'alcool et le tabac n'ont pas été mis à la même enseigne. Alors que toute publicité pour le tabac est interdite, l'alcool bénéficie, lui, d'autorisations exclusives pour lesquelles les exceptions n'ont eu de cesse de se multiplier au fil des ans : en dehors des zones de production en 1994, références aux appellations d'origines contrôlées, publicité sur internet (dans une loi de santé en 2009 !) et enfin acceptation du publireportage.

Autant de décisions politiques qui font dire à l'auteur même de la loi Évin que « pour une politique de santé publique cohérente, il faut la conjonction d'une loi, de l'opinion publique et de la volonté politique. » Pour l'ancienne ministre de la Santé, Marisol Touraine, les coups de canifs successifs dans le volet alcool de la loi Évin s'explique par la toute-puissance du lobby viticole : « le groupe Vin, Vigne et Œnologie de l'Assemblée compte 123 parlementaires inscrits, explique-t-elle. Chaque député qui a un bout de vigne dans sa circonscription y est inscrit. »

Dernier fait d'arme des lobbyistes de l'alcool : « ces derniers mois, des pressions ont réussi à effacer toute mention de l’alcool dans les textes parlementaires évoquant l'augmentation des violences intrafamiliales lors du confinement », se désole Marisol Touraine.

Pour Bernard Basset, les vents sont tout de même en train de tourner. « Le Dry January, consistant à proposer à la population de ne pas boire d'alcool pendant le mois de janvier, n'a pas reçu le soutien de l'État, rappelle-t-il. Nous l'avons fait nous-mêmes en bénéficiant de la publicité engendrée par le retrait de l'État. Nous avons rencontré un succès qui montre que la perception du public a changé. Il y a quelques années, nous aurions été moqués par tout le monde. »


Source : lequotidiendumedecin.fr