Un facteur algogène à part entière

La peur de la douleur

Publié le 31/10/2012
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Crédit photo : BSIP

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Douleur, peur et anxiété

La peur de la douleur constitue une réponse physiologique à des informations menaçantes ; elle entraîne des conduites d’échappement, d’évitement, une hypervigilance, considérées comme des conduites de sécurité utiles dans la douleur aiguë. Cependant, ces comportements peuvent être intrinsèquement responsables d’une persistance des phénomènes douloureux.

L’impact

L’impact de la peur liée à la douleur

Plusieurs études montrent l’impact de la peur de la douleur sur la survenue, le maintien et l’aggravation de la douleur chronique. Si on demande à un patient lombalgique de soulever un poids et que l’on mesure sa peur de la douleur, plus la peur est forte, plus le mouvement sera évité ; de même, la façon de se baisser va varier avec la peur, les mouvements du rachis seront évités avec, à long terme, une pérennisation de la douleur. Par ailleurs, la peur de la douleur entraîne une attention sélective du patient sur la source de la menace dont il est difficile de le désengager, ceci au détriment d’autres activités cognitives qui sont détériorées.

De la peur légitime à la phobie

Le sujet phobique maintient les conduites de sécurité alors même qu’il n’existe plus de raison de le faire. C’est l’interprétation catastrophiste de la douleur qui est responsable de cette peur de la douleur, elle-même à l’origine de comportements d’évitement avec appréhension du mouvement ou kinésiophobie. Cette dernière augmente la douleur par l’immobilisation qu’elle génère. À long terme, elle est responsable de syndrome dépressif.

Le catastrophisme et la kinésiophobie sont les deux facteurs prédictifs les plus puissants de chronicisation de la douleur. Il est fondamental de les repérer rapidement chez les patients douloureux.

S’il n’y a pas de catastrophisme, le patient poursuit ses activités quotidiennes et ne développe pas de douleur chronique. À l’inverse, la peur de la douleur permet de prévoir l’incapacité sociale un an plus tard, même si le symptôme douleur est contrôlé. De même, si le soignant applique un modèle cartésien de compréhension de la douleur chronique et recherche une lésion en cas de douleur persistante, il peut indirectement encourager la peur de la douleur et l’évitement. Il apparaît donc important de disposer d’un modèle pour comprendre la douleur chronique, comme le modèle biopsychosocial, qui intègre les composantes médicales, fonctionnelles, émotionnelles et socioprofessionnelles des patients.

Pour aider les patients, il faut donc rétablir une compréhension correcte concernant la douleur quand il existe une peur de la douleur. Cette aide passe par une éducation du patient concernant les croyances dysfonctionnelles et les effets paradoxaux des comportements d’évitement.

Evaluation

Évaluation de la peur liée à la douleur

Vlaeyen a mis au point un instrument d’évaluation fiable et simple, la PHODA (série de photographies des activités quotidiennes), qui permet de mesurer la nocivité perçue par le patient pour des gestes de la vie quotidienne (une version électronique et abrégée est accessible sur http://www.psychology.unimaas.nl/phoda-sev).

Réduction

Réduction de la peur liée à la douleur

Le traitement consiste en l’exposition progressive aux situations évitées en situation de succès, ce qui permet de retrouver des mouvements adaptés. Il en résulte parallèlement une remise en cause des croyances erronées concernant la peur de la douleur.

Au CHU de Caen nous utilisons ces techniques cognitivocomportementales dans des groupes de gestion de la douleur chronique. Les programmes sont organisés autour d’une reprise progressive d’activité pour lutter contre la kinésiophobie et d’un travail de remise en cause des croyances erronées pour lutter contre le catastrophisme. La prise en charge comporte 5 séances en groupes de 4 à 6 patients avec des séances de rappel à 1,3,6 mois et un an. Chaque séance comporte 3 parties : une première partie animée par un psychiatre spécialiste de la douleur où sont expliqués les mécanismes de la douleur chronique avec un travail spécifique sur le catastrophisme et une programmation d’activités à reprendre. Une deuxième partie animée par un médecin rééducateur, centrée sur la reprise d’exercices physiques et la prise de contact avec les différents intervenants concernés par la compensation de l’incapacité pour envisager, quand elle est possible, une reprise de l’activité professionnelle. La troisième partie concerne l’apprentissage de techniques de relaxation et d’imagerie mentale (hypnose) pour aider le patient à contrôler ses émotions et la douleur, animée par le psychiatre. En outre, une séance permet l’accueil d’un patient d’un groupe précédent, pouvant témoigner de l’intérêt du « coping » dans la gestion de la douleur chronique. Une autre séance accueille un parent ou un proche qui fera fonction de cothérapeute auprès du patient parallèlement à notre prise en charge.

Conclusion

La peur liée à la douleur est un facteur prédictif important de chronicisation de la douleur ; elle entraîne une incapacité liée à des évitements multiples et conduit finalement à la dépression via le catastrophisme. Les techniques d’exposition, en confrontant le patient à ses peurs, permettent une reprise progressive du mouvement et aident le patient à mieux vivre sa douleur chronique.

Bibliographie

- Boureau F. « Modèles théoriques cognitifs et comportementaux de la douleur chronique ». Doul et Analg., 1 999. 4 : 265-272.

- Coudeyre E. et al. « General practitioners’ fear avoidance beliefs influence their management of patient with low back pain ». Pain,2006.124(3):330-7.

- Laroche F. « Cognitions, croyances, émotions, comportements et douleur chronique. Approche cognitivocomportementale ». La lettre de l’Institut UPSA de la douleur, 2006.4:1-4.

- Vlaeyen J. « La peur de la douleur ». La lettre de l’Institut UPSA de la douleur, 2009.31: 1-6.

DR VALÉRIE GUILLOUF Psychiatre CHU Caen

Source : Le Quotidien du Médecin: 9183