Le baclofène obtient enfin son AMM dans l'alcoolodépendance

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Publié le 23/10/2018
Dominique Martin

Dominique Martin
Crédit photo : D. C.

« Au bout d'un moment, il fallait prendre une décision. » Le directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), Dominique Martin, a finalement tranché : le baclofène a obtenu son autorisation de mise sur le marché dans l'indication de la réduction de la consommation d'alcool des patients alcoolodépendants. Il sera commercialisé sous le nom de Baclocur par le laboratoire Éthypharm.

C'est une étape importante dans une histoire aussi longue que typiquement française. La demande d'AMM, datant d'avril 2017, n'a été faite qu'en France, une situation désormais suffisamment rare pour être signalée. Lors d'un petit déjeuner pris avec la presse, Dominique Martin a reconnu que la décision d'accorder une AMM est moins basée sur les preuves expérimentales et les études cliniques que sur les auditions de juillet dernier des hépatologues, des médecins et des associations par la commission mixte paritaire mise en place par l'ANSM. « Cela nous a permis d'avoir une vision de santé publique », explique Dominique Martin.

Si les personnalités auditionnées militaient en faveur de l'octroi d'un AMM au baclofène, la littérature scientifique semblait pourtant les contredire. Le comité scientifique spécialisé temporaire (CSST) mis en place par l'agence avait en effet conclut à un rapport bénéfice risque négatif du baclofène. De plus, la recommandation temporaire d'utilisation (RTU), lancée le 17 mars 2014 pour collecter des renseignements sur l'efficacité et la sécurité des traitements en vie réelle, « a moyennement fonctionné, a confirmé Dominique Martin. Moins de 5 % des prescripteurs l'ont utilisée. Cette RTU est devenue une sorte de droit d'utilisation hors AMM », de Lisoresa et du baclofène Zentiva, les deux myorelaxants contenant du baclofène.

Les problèmes méthodologiques de Bacloville

Enfin, de « sérieux problèmes méthodologiques » ont été notés par le CSST dans l'étude Bacloville qui devait servir de pierre angulaire à la demande d'AMM d'Éthypharm. « Il y a une vraie difficulté avec ce dossier », poursuit Dominique Martin, qui justifie la décision de l'agence par « la prise en compte de l'ensemble des morbidités extrêmement lourde de la forte consommation d'alcool, mais aussi d'une pharmacopée assez fragile dans ce domaine. »

L'ANSM se défend toutefois de donner un blanc-seing à Éthypharm : dans le résumé des conditions de prescription, il est inscrit que Baclocur n'est pas un traitement de première intention, ne devra pas être prescrit à des doses dépassant 80 mg/j (conformément aux conclusions de l'enquête de pharmacovigilance ANSM/CNAM). En outre, l'ANSM affirme vouloir demander que des études complémentaires soient faites pour éventuellement réviser l'AMM, dans un sens ou dans l'autre. « Ce n'est pas un point final, » résume Dominique Martin.

Les doses en question

La question de la limitation de doses est un sujet épineux, qui a fait l'objet d'une demande de référé suspension devant le Conseil d'État. Pour le Pr Michel Reynaud, président du Fonds Actions Addictions et principal auteur de l'étude Alpadir sur l'efficacité du baclofène en services d'addictologie spécialisés, « l'attitude de l'ANSM est logique, analyse-t-il. Environ 2/3 des patients se satisfont de doses inférieures à 80 mg par jour. Au-delà, il y a des effets secondaires connus et graves qui ne peuvent pas être négligés. »

« C'est une grande avancée, qui était attendue dans le monde entier », se réjouit le Pr Philippe Jaury, du département de médecine générale de la faculté de médecine Paris Descarte, et principale investigateur de l'étude Bacloville. Concernant la limitation des doses, le Pr Jaury attend beaucoup de plusieurs études à paraître qui démontrerait l'efficacité des hautes doses chez certains patients, et qui ont été présentés en mai dernier lors d'une conférence de consensus à Cagliari, en Sardaigne. « Les doses ne sont pas fixes, insiste le Pr Jaury, on l'augmente progressivement dans un premier temps, et on la réduit graduellement une fois que l'efficacité est atteinte. Les fortes doses restent transitoires. »

Dans un article publié le 8 octobre dans « Frontiers in Psychiatry », le Pr Jaury décrit une population de 144 patients alcoolodépendants et traités par baclofène (dose moyenne : 100 mg/j), suivis pendant 3 ans. Le traitement a été un succès pour 63,2 % des patients dont la consommation d'alcool a atteint les standards de l'OMS (moins de 40 g/J chez les hommes et moins de 20 g/j chez les femmes). Le Dr Jaury précise qu'à terme, « 30 % de ces patients ont pu arrêter le baclofène ».

Baclocur se présentera sous la forme de comprimés de 10, 20 et 40 mg. La question du prix et du remboursement devrait être tranchée lors de négociations devant le comité économique des produits de santé en 2019. Pour le Pr Jaury, le Baclocur « va être remboursé, c'est évident, mais à 80 mg, ce qui introduira une inégalité de santé ».


Source : lequotidiendumedecin.fr