Antimigraineux, antiparkinsoniens, coupe-faim, ecstasy

Le récepteur 5HT2b impliqué dans les valvulopathies médicamenteuses

Publié le 24/06/2013
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Crédit photo : MediaforMedical

« IL EST MAINTENANT ÉTABLI que le développement d’un processus fibrotique au niveau des valves cardiaques peut être associé à l’utilisation des médicaments suivants : alcaloïdes de l’ergot de seigle comme le méthysergide et l’ergotamine, les agonistes dopaminergiques également dérivés de l’ergot ainsi que des médicaments dont le point commun est qu’ils sont métabolisés en norfenfluramine (fenfluramine, dexfenfluramine et benfluorex) », résument Michel Andrejak et Christophe Tribouilloy dans une revue générale consacrée aux valvulopathies médicamenteuses.

Toutes ces thérapeutiques partagent un mécanisme d’action pharmacologique commun : elles agissent sur le récepteur 5HT2b (HT = hydroxytriptamine = sérotonine) fortement exprimé sur les valves cardiaques. La stimulation de ce récepteur par des agonistes peut entraîner une prolifération fibroblastique et une synthèse du collagène qui elles-mêmes peuvent expliquer le développement d’une valvulopathie médicamenteuse (VM). Le modèle qui permet d’expliquer ces lésions est celui des tumeurs carcinoïdes, tumeurs neuroendocriniennes liées aux cellules entérochromaffines, qui produisent la sérotonine en excès et induisent des lésions valvulaires ayant les mêmes caractéristiques morphologiques et histologiques.

L’échocardiographie est l’examen clef pour dépister et évaluer la sévérité, les anomalies échographiques étant communes à toutes les drogues en cause. Typiquement, il s’agit d’un épaississement de la valve - il existe peu de calcifications et d’inflammation - associé à une rétraction des cordages qui font perdre toute flexibilité aux valves. Les lésions sont rarement sévères et le lien causal difficile à établir en raison du manque de données sur les traitements prééchographiques.

• Les antimigraineux

Le méthysergide (Désernil) et l’ergotamine (Gynergène) ont été les premiers incriminés dans les VM. Une première publication datant de 1967 a associé l’usage du méthysergide connu pour induire des altérations fibreuses expliquant l’hypertension artérielle pulmonaire ainsi que la fibrose rétropéritonéale, à la survenue de pathologies valvulaires. En 1974, l’ergotamine fut associée pour la 1re fois à une valvulopathie du cœur gauche.

• Fenfluramine et dexfenfluramine

Juste après l’arrêt de commercialisation de la fenfluramine (Pondéral) et la dexfenfluramine (Isoméride) en France pour avoir induit des hypertensions artérielles pulmonaires, les 24 premiers cas de fuites valvulaires ont été décrits aux États-Unis chez des femmes âgées de 44 ± 8 ans prenant une association fenfluramine-phentermine. Les patients présentaient des signes d’insuffisance cardiaque ou un souffle à l’auscultation. L’échocardiographie montrait des anomalies valvulaires avec différents degrés de régurgitations touchant les valves du cœur droit et du cœur gauche. Les publications ultérieures ont montré d’une part, que la durée d’exposition était importante dans l’apparition d’une VM, d’autre part que la fenfluramine et la dexfenfluramine induisaient des régurgitations valvulaires lorsqu’on tenait compte du biais que pouvait représenter l’obésité. Ces coupe-faim ont induit des fuites essentiellement aortiques, et dans une moindre proportion, des sténoses mitrales, essentiellement lorsque les drogues ont été prises pendant plus de 3 à 6 mois, alors que l’HTAP survenait pour des durées de prise plus courtes.

• Valvulopathies liées au benfluorex

Tout ou presque a déjà été écrit sur les valvulopathies liées au benfluorex (Mediator), produit le plus récemment incriminé dans les VM. Le benfluorex est structurellement relié aux amphétamines car partiellement métabolisé en norfenfluramine. Les premiers cas de VM ont été rapportés en 2003, 2006, et 2010. La toute première publication faisait état d’une pathologie valvulaire multiple ayant nécessité un double remplacement valvulaire gauche et une valvuloplastie tricuspide. Ces premiers cas ont été suivis de 2 études. Quarante autres cas ont été rapportés par M. Tribouilloy et concernaient de façon à peu près homogène, des femmes d’âge moyen, obèses et/ou diabétiques, et exposées au benfluorex pour une durée moyenne de 72 ± 53 mois. La plupart présentaient une insuffisance cardiaque symptomatique. Les anomalies sont principalement des fuites aortiques et mitrales. Les auteurs rappellent REGULATE publiée en 2 012 qui a comparé 847 diabétiques de type 2 randomisés en deux groupes afin de recevoir la pioglitazone ou le benfluorex et dont les résultats échographiques ont montré une plus grande fréquence des régurgitations dans le groupe benfluorex, de 27 % versus 11 % dans le groupe glitazone avec une différence statistique (p ‹ 0,0001).

•Agonistes dopaminergiques dérivés de l’ergot

Deux produits antiparkinsoniens de cette classe sont impliqués : le pergolide (Celance) et la cabergoline (Dostinex) ce dernier étant essentiellement utilisé pour traiter les hyperprolactinémies. Les premiers cas de VM probables ont été décrits dès 2002. Dans une étude conduite chez des parkinsoniens, ceux qui recevaient le pergolide avaient 33 % plus de risque de VM que les non traités. Les valvulopathies associées au pergolide sont généralement plurivalvulaire. Les lésions échographiques et histologiques sont semblables à celles observées avec les coupe-faim. La FDA a retiré le pergolide du marché américain alors que l’Europe l’a maintenu avec quelques restrictions d’utilisation.

• Ecstasy

Le MDMA plus connu sous le nom d’ecstasy utilisé comme drogue récréative est associé avec le développement de valvulopathie chez les utilisateurs au long cours (3 à 6 cachets /semaine pendant 6 ans)avec une corrélation positive entre la dose et la sévérité des atteintes valvulaires, lesquelles sont semblables à celles rapportées avec le pergolide et la fenfluramine.

Cette publication rassemble les données connues à ce jour sur les valvulopathies médicamenteuses. En 2009 Huang a screené 2 200 molécules pour leur affinité sur le récepteur 5HT2b dont 7 connues pour être associées aux VM et 6 couramment prescrites. « Lorsque l’on identifie une action sur le récepteur 5HT2b, on démasque une toxicité valvulaire potentielle », commente le Pr Tribouilloy. D’autres facteurs entrent en jeu : « La dose cumulée, la durée, le fait d’être une femme, et le tabac sans que l’on comprenne pourquoi, précise le Pr Tribouilloy. « En revanche, comme nous le montrons sur notre série (voir encadré), les inhibiteurs de la recapture de la sérontonine n’ont pas d’influence chez les personnes qui ont été exposées au benfluorex ».

Drug induced valvular heart disease : An Update. Michel Andrejak et Christophe Tribouilloy. Archives of Cardiovascular Disease (2013) 106, 333-339

Dr ANNE TEYSSÉDOU-MAIRÉ

Source : Le Quotidien du Médecin: 9253