Après la publication des données sur la RTU du baclofène

Les médecins contestent les modalités de prescription

Publié le 26/03/2015
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Crédit photo : phanie

L’agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a autorisé en mars 2014 l’utilisation du baclofène chez les patients alcoolodépendants par le biais d’une recommandation temporaire d’utilisation (RTU). Un an plus tard, l’agence vient de publier les données collectées au cours des six premiers mois de la RTU, entre le 14 mars et le 16 septembre.

Un des chiffres les plus frappant concerne le relativement petit nombre de patients. Au 20 mars 2015, un peu plus de 5 000 patients ont été enregistrés sur le portail de la RTU ce qui « semble très faible au regard de l’estimation de l’ensemble des patients traités par le baclofène dans l’alcoolodépendance », juge l’ANSM. Un tel chiffre ne surprend pas le Dr Benjamin Rolland du service d’addictologie du CHRU de Lille.

La semaine dernière, il a présenté lors des journées de la Société Française d’alcoologie les résultats d’une enquête menée auprès de 150 médecins : « plus de 50 % d’entre eux déclaraient ne reporter aucun de leurs patients, le plus souvent par manque de temps », explique-t-il.

« Il faut souligner et remercier les médecins généralistes qui ont bien voulu entrer dans cette RTU estime pour sa part le Dr Xavier Aknine, responsable du groupe MG addiction. On pourrait espérer qu’il y en ait plus mais les médecins généralistes (45 % des prescripteurs selon l’ANSM N.D.L.R.) sont surchargés. Ce dispositif est encore relativement nouveau, les médecins y adhéreront par cercles concentriques en commençant par les plus investis dans l’addictologie. » Selon les données de l’ANSM, seulement 57 % des 3 750 patients enregistrés au cours des six premiers mois ont effectué leur deuxième visite de suivi. Pour le Dr Aknine, ce chiffre ne signifie pas que les consultations de suivi ne sont pas faites, mais que « les médecins qui se mobilisent pour inscrire leur patient sur le portail électronique lors de la première visite négligent souvent de le faire lors des consultations de suivi ».

Des règles de RTU très contestées

Outre le manque de temps, le refus des règles de la RTU constitue l’autre raison qui pousse les médecins à ne pas se plier au rituel de l’enregistrement sur le portail électronique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’agence rappelle ces règles dans sa communication. La posologie initiale du baclofène est de 15 mg par jour pendant 2 à 3 jours, suivie d’une augmentation progressive de la dose jusqu’à l’obtention d’une réponse clinique. Au-delà de 120 mg/j, le deuxième avis d’un collègue expérimenté est nécessaire, et au-delà de 180 mg/j, c’est l’avis collégial d’un CSAPA qui devient nécessaire. Ce protocole de titration est critiqué par le Dr Aknine, de même que l’interdiction de prescrire du baclofène à des patients qui souffrent de comorbidités psychiatriques ou d’une co addiction : « c’est incompatible avec ce que l’on observe au quotidien. Des médecins qui ont de l’expérience avec le baclofène doivent parfois demander l’avis de CSAPA qui n’en prescrive pas régulièrement. »

Pour le Dr Rolland, si la posologie est bien respectée par ses collègues, « seuls 38 % des médecins respectent la non-prescription en cas de comorbidités psychiatriques. Les autres prescrivent hors RTU. » Dans l’ensemble, les addictologues ne comprennent pas le bien fondé de cette limitation, dans la mesure où « le baclofène est réservé aux patients en échecs de traitement, or il s’agit justement d’une population avec une grosse prévalence de comorbidité psychiatrique », poursuit le Dr Rolland. En ce qui concerne l’impossibilité de prescrire du baclofène en cas de co-adciction, « l’ANSM n’apporte pas de définition claire de ce qu’est une co-addiction note le Dr Rolland. Un patient bien stabilisé qui prend des produits de substitution aux opiacés souffre-t-il d’une co-addiction ? », interroge-t-il.

Bacloville et Alpadir toujours en attente

Les premières données semblent indiquer l’intérêt du baclofène même s’il faut attendre les résultats des études randomisées pour éliminer l’effet placebo. L’ANSM précise que 74 % des patients nouvellement traités ont vu leurs scores de craving baisser, de même que 45 % des patients déjà traités avant le début de la RTU. La diminution moyenne de la consommation journalière d’alcool est de 56 g/j chez les patients en initiation de traitement et de 15 g/j chez ceux déjà traités. « Je suis satisfait de voir que l’ANSM confirme les bons résultats du baclofène, se réjouit le Dr Aknine, nous attendons les résultats des études Alpadir et Bacloville qui permettront d’obtenir l’AMM ». Selon le Pr Michel Reynaud du département de psychiatrie et d’addictologie de l’hôpital Paris Sud et coordinateur de l’étude Alpadir « l’étude Bacloville n’a pas encore pu clore sa base de données et Alpadir est encore dans les cinq analyses terminales. »

Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du Médecin: 9398