Psychiatrie et addictologie

Les pathologies duelles, un laboratoire pour des pratiques décloisonnées et innovantes

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Publié le 02/04/2021
Comment prendre en charge les patients cumulant troubles psychiatriques et addictions ? La journée nationale organisée le 16 mars dernier par la Fédération Addiction (1) sur ce thème a mis en lumière la nécessité de lever les non-dits entre deux disciplines encore trop cloisonnées et d’inventer des prises en charge globales.
75 % des troubles commencent avant 18 ans en même temps que les addictions

75 % des troubles commencent avant 18 ans en même temps que les addictions
Crédit photo : Phanie

Marginalisées au sein du champ de la santé mentale elle-même négligée, les pathologies duelles – combinant troubles psychiatriques et addictions - sont encore mal repérées et peu prises en charge. « Les addictions sont stigmatisées, y compris par la psychiatrie : elles sont souvent la variable indésirable d’un tableau clinique, d’autant plus que les patients sont peu demandeurs de soins », a expliqué le Dr Jean-Michel Delile, président de la Fédération Addiction, lors de l’introduction de la journée Addictions et troubles psychiatriques du 16 mars.

Entre 20 à 30 % des patients souffrant de troubles psychiatriques seraient concernés par les addictions (hors tabac) et 40 à 50 % des personnes traitées pour une addiction souffrent de troubles mentaux. Les pathologies duelles sont plus que des additions. « Ce n’est pas l’association de deux couleurs, mais une nouvelle coloration, un processus morbide synergique, une clinique complexe », où les symptômes changent de forme, où certains attendus ne se retrouvent pas, tandis que d’autres apparaissent, enchérit le Pr Georges Brousse du CHU de Clermont-Ferrand.

Les jeunes sont particulièrement vulnérables, car ce sont eux qui présentent la plus haute prévalence des troubles mentaux par rapport aux autres tranches d’âge (20 %) et que 75 % des troubles commencent avant 18 ans… en même temps que les addictions.

Pour une meilleure collaboration

Les errances autour de la prise en charge des pathologies duelles mettent en lumière les liens complexes entre deux « systèmes de soins frères et sœurs », selon les mots du Pr Brousse. Dans les deux tiers des cas, la pathologie addictive est la porte d’entrée dans le système de soins et la pathologie psychiatrique est repérée secondairement. Mais ce sont plutôt les services de psychiatrie qui hospitalisent ces patients. « Les services d’addictologie sont peu formés à la psychiatrie, et les Centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) comptent peu de psys. Réciproquement, l’expertise des addictions est faible en psychiatrie », constate le Pr Brousse. Sans parler du défaut de coordination avec le champ social, qui offre pourtant des espaces de soins résidentiels au long cours ou des lieux de réhabilitation.

Plus qu’ailleurs, le décloisonnement est indispensable. Le constat est partagé jusqu’au sein du ministère. « Nous devons trouver ensemble les moyens par lesquels l’addictologie et la psychiatrie ne seront pas deux options possibles ou deux portes d’entrée, mais les deux faces d’une même médaille. Faute de quoi on passe à côté de quelque chose et c’est la rechute, la réhospitalisation », a déclaré le ministre de la Santé Olivier Véran. Le gouvernement mise sur les projets territoriaux de santé mentale (PTSM) portés par les acteurs de terrain, pour lesquels les formations communes sont
plébiscitées.

Invention de nouveaux paradigmes

Au-delà d’une mise en œuvre concrète du concept de décloisonnement, les pathologies duelles requièrent d’autres modalités du soin, voire de nouveaux métiers qui articulent intimement « care » et « cure ».

Le psychiatre Yves Guillermain (CH Édouard Toulouse, Marseille) fait part de son expérience au sein d’une consultation jeune consommateur (CJC) : « face à un adolescent, je vais sur la pointe des pieds, dans la rencontre et l’écoute. Il n’y aurait rien de pire que d’être dans une posture d’expert ou d’éducateur, en se focalisant sur le symptôme ou le comportement addictif ». Une démarche qui a fait mouche auprès de Florent, 23 ans, aux prises avec une addiction aux jeux vidéo dont il parle depuis deux ans avec le Dr Guillermain : « c’est un échange, plus que le traitement d’une maladie. À force de parler de tout et de rien, on a soulevé des problèmes que je ne soupçonnais pas ».

De son côté, Nicolas Bourguignon, directeur d’une communauté thérapeutique (Le Fleuve), promeut en addictologie ce modèle né dans les années 1950 aux États-Unis, « passé d’anachronique à tendance ». Une douzaine d’établissements en France accueillent chacun 30 à 35 personnes, pour des séjours (très) longs (24 mois), encadrés par une équipe mixte, professionnels et résidents. « On n’aime pas trop le communautaire en France… Pourtant, c’est un lieu créatif qui fait la synthèse entre psychiatrie et addictologie, Evidence-Based Medicine et implication des usagers », explique-t-il.

D’autres dispositifs se créent ici où là, comme « Un chez soi d’abord », qui propose aux précaires avec des troubles psys un logement tremplin vers des soins. De nouveaux métiers s’inventent, comme le « Case Management » ou la « pair-aidance », sans oublier les infirmiers en pratique avancée.

« Que ce soit un logement, un travail, de l’alimentation, la santé… On doit partir des besoins des usagers et toutes les portes doivent pouvoir s’ouvrir vers du soin : les pathologies duelles sont souvent l’expression de problèmes antérieurs », conclut le Dr Delile, appelant à mettre sur le même plan de légitimité toutes ces
approches.

(1) En partenariat avec une douzaine d’organisations et le comité national de pilotage de la psychiatrie
(2) Guide « Addictions et troubles psychiatriques » (2019) de la Fédération Addiction, collection Repère

Coline Garré
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Source : Le Quotidien du médecin