Toxicomanie

Les projets de salles de consommation à moindre risque relancés

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Publié le 16/07/2021
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Bordeaux, Lille, Lyon et Marseille, des projets de salles de consommation à moindre risque redémarrent dans plusieurs villes. Plusieurs facteurs se conjuguent pour l'expliquer : l'évaluation positive de l'Inserm et le soutien du ministère de la Santé mais aussi les majorités municipales de 2020.
La création d'une seconde salle dans la capitale est prévue

La création d'une seconde salle dans la capitale est prévue
Crédit photo : Phanie

Près de cinq ans après l'ouverture des premières salles de consommation à moindre risque (SCMR), les projets à Lyon, Bordeaux, Lille et Marseille sont en passe de se concrétiser, tandis qu'Anne Hidalgo a annoncé la création d'une seconde salle dans la capitale. Un phénomène porté par les récents résultats positifs de l'évaluation Inserm sur les expérimentations de Paris et Strasbourg prévues jusqu'en 2022.

Lors du colloque européen sur les SCMR le 1er juillet dernier, le ministre de la Santé Olivier Véran a ainsi promis l'ouverture de débats parlementaires dès l'automne 2021. Des discussions qui seront étayées par les conclusions d'une « mission flash » parlementaire en cours, présidée par les députés Caroline Janvier (LREM) et Stéphane Viry (LR).

« Trois scénarios sont possibles, explique Caroline Janvier au « Quotidien ». Un arrêt de l'expérimentation sans pérennisation, un prolongement de l'expérimentation ou des SCMR qui deviennent gravées dans le marbre. Dans ce dernier cas, il faudra passer par un amendement, probablement dans la loi de financement de la Sécurité sociale 2022. »

Moins d'urgences, d'abcès et de délits

Selon l'évaluation Inserm, qui a comparé une cohorte d'usagers de drogue fréquentant la salle et une autre ne la fréquentant pas (dont 60 % d'injecteurs quotidiens), le risque de passage aux urgences était diminué de 24 %, le risque de délits de 20 %, celui d'abcès de 11 % et celui d'overdose de 2 %. En outre, le risque d'injection dans l'espace public était diminué de 15 %, un chiffre corroboré par les observations des acteurs de la propreté publique interrogés dans le cadre de l'étude.

« Le grand défi des salles de consommation à venir sera le dépistage et la prise en charge d’usagers infectés par le virus de l'hépatite C (VHC) qui ne vont pas chez l'hépatologue, ajoute la Dr Béatrice Stambul, présidente de l'ASUD Mars Say Yeah et infatigable porteuse du projet de SCMR à Marseille. L'existence de nouveaux médicaments nous donne les moyens d'éradiquer l'épidémie dans cette population. » De fait : un quart des usagers de l’étude déclarait être infecté par le VHC et 5,4 % par le VIH.

Le débat est également politique, l'arrivée de nouvelles majorités après les municipales de 2020 a joué pour beaucoup dans le changement de situation. « On avait abandonné le projet quand Gérard Collomb était maire de Lyon », se souvient Damien Thabourey, président de l'association Oppelia. Les écologistes Grégory Doucet à Lyon, Pierre Hurmic à Bordeaux et le Printemps marseillais avaient inscrit l'ouverture d'une SCMR dans leurs programmes.

À Lille, Martine Aubry ne s'était pas officiellement positionnée en ce qui concerne l'ouverture d'une salle dans sa ville. « Après les élections de 2020, une nouvelle élue à la santé a été nommée et la ville a été candidate », nous explique le collectif formé par des Caarud* lillois (Itinéraires, Aides, Cédr’Agir, Abej, Spiritek et La Sauvegarde du Nord).

Malgré tout, des blocages peuvent demeurer. À Lille, le conseil municipal a demandé au Premier ministre, le 28 juin, de débloquer la situation, après la « ferme opposition » du ministre de l'intérieur Gérald Darmanin.

Des profils de population très divers

Chaque projet de salle doit prendre en compte la configuration locale de l'usage de drogue. « En France, il y a clairement un gradient Nord-Sud, avec énormément d'injecteurs dans le Sud et beaucoup de consommateurs de crack dans le Nord », résume la Dr Stambul. Comme dans le sud de l'Europe, beaucoup d'usagers marseillais sont des injecteurs de cocaïne. « La montée très rapide provoquée par l'injection de cocaïne fait que les usagers s'injectent jusqu'à 20 fois par jour, poursuit la Dr Stambul. Cela pose des questions quant au protocole à appliquer : faut-il les laisser revenir aussi souvent ? ».

À Lille, il n’y a pas de scène de consommation ouverte comme « la colline » de Paris, « mais il existe une multitude de sites de taille restreinte qui évoluent et se déplacent en fonction de l’environnement », explique le collectif. Un diagnostic local est en cours, porté par l’Inserm et financé par la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) et la ville de Lille. « Nos Caarud pointent une augmentation massive des consommations de crack par inhalation », insiste le collectif. « Il s'agit toujours en grande majorité de stupéfiants et non pas de traitements détournés, comme le rapporte la SCMR parisienne », ajoutent les promoteurs de la future salle.

À Lyon, « nous assistons depuis quelques années à l'émergence d'une consommation de rue qui n'existait pas avant, et qui justifie l'ouverture d'une salle », explique Damien Thabourey, citant le rapport 2019 de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies pour l'Auvergne-Rhône-Alpes.

*Centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues

Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du médecin