La loi Évin a 20 ans

Une relance nécessaire

Publié le 10/01/2011
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Crédit photo : AFP

DÉFINITIVEMENT validée au Conseil constitutionnel le 8 janvier 1991 après des mois de bataille parlementaire, la loi dite « Évin » relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme est promulguée quelques jours plus tard, le 10 janvier. Claude Évin, alors ministre des Affaires sociales et de la Solidarité, peut enfin se féliciter de l’instauration d’une « législation à la mesure de la gravité des problèmes » de santé publique, largement inspirée d’un rapport d’experts remisen1989*.

Inscrit depuis 1946 dans la constitution française, le principe de « protection de la santé par la nation » a longtemps été mis à mal s’agissant des domaines de l’alcool et surtout du tabac. Poursuivant la dynamique de la loi Veil du 9 juillet 1976 relative à la lutte contre le tabagisme, le texte de 1991 interdit désormais totalement la « propagande ou publicité » en faveur du tabac, tout en restreignant fortement la promotion des boissons alcoolisées. « Les dispositions concernant le tabac et l’alcool diffèrent, car la consommation modérée de l’alcool ne présente pas de réel risque médical et est au cœur des traditions culturelles », a expliqué Claude Évin lors de l’examen du texte au Parlement.

En matière de lutte contre le tabagisme, la loi du 8 janvier 1991 a insufflé plusieurs autres dispositions fortes, comme l’interdiction de prise en compte du prix du tabac dans le calcul des indices de prix à la consommation. Mesure à l’origine des politiques tarifaires sur le tabac qui ont contribué au fort recul du nombre de fumeurs en France ces dernières années. De la loi Évin ont également émergé la « journée sans tabac », l’inscription sur les paquets de cigarettes de la mention « Nuit gravement à la santé » et surtout le principe d’interdiction généralisé de fumer dans les « lieux affectés à un usage collectif », initié par la loi Veil. Plusieurs textes d’application suivront, du décret de Bernard Kouchner (mai 1992) à celui de Xavier Bertrand (novembre 2006), élargissant au fil des années les interdictions effectives de fumer dans l’espace public.

Arbitrages budgétaires..

Bertrand Dautzenberg, professeur de pneumologie à la Pitié-Salpêtrière (Paris) et président de l’Office français de prévention et de lutte contre le tabagisme (OFT), salue un texte qui a permis de remettre en cause les « pleins pouvoirs » du fumeur dans l’espace public. « Malgré le peu de moyens dévolus sur le terrain pour veiller au bon respect de l’interdiction de fumer dans les lieux publics, la société française a dans l’ensemble très bien intégré la législation », constate le spécialiste. La loi a également eu un impact déterminant sur la consommation de tabac. Entre 1989 et 2009, les ventes annuelles de cigarettes dans l’Hexagone sont passées de 94 milliards d’unités à près de 55 milliards. « Ce succès aussi massif que rapide a placé la France comme l’un des modèles au niveau mondial en matière de lutte contre le tabagisme », souligne le président de l’OFT. Mais, pour lui, que la loi Évin est aujourd’hui en panne.

« Depuis trois ans, force est de constater que le taux de tabagisme augmente, et avec lui la perception des taxes et revenus de l’État », explique le Pr Dautzenberg, qui dénonce « le retour des arbitrages en faveur du ministère du Budget », au détriment de son homologue de la Santé. « Si les dernières augmentations du prix du tabac ont fait l’objet de la part des industriels d’un savant calcul, c’est bel et bien pour augmenter leurs recettes et celles de l’Etat sans diminuer la consommation », souligne-t-il. Regrettant que les pouvoirs publics n’aient pas saisi l’occasion de cet anniversaire pour « relancer » la loi Évin, Bertrand Dautzenberg estime que le retour de Xavier Bertrand à la Santé reste toutefois porteur d’espoir pour amorcer une nouvelle dynamique nécessaire dans la lutte contre le tabagisme.

Pour Gérard Audureau, président de l’association Droits des Non Fumeurs (DNF), le cadre législatif de la loi Evin et ses décrets, apparaît suffisant pour lutter contre le tabagisme, « à condition que les textes soient bien respectés ». DNF s’alarme en effet « des contournements de plus en plus nombreux » de la législation, qui risquent à termes de « mener à une altération de la loi », voire « à la disparition de ses effets ». S’opposant « à toute tentative de nature à banaliser l’acte de fumer », DNF appelle à une mobilisation citoyenne au quotidien pour faire respecter le droit des Français à ne plus être exposé aux méfaits du tabagisme.

* « L’Action politique dans le domaine de la santé et de la prévention », Gérard Dubois, Claude Got, François Grémy, Albert Hirsch, Maurice Tubiana.

DAVID BILHAUT

Source : Le Quotidien du Médecin: 8881