Quand envisager l’escalade des antalgiques ?

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Publié le 23/06/2020
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Le médecin généraliste a un rôle clé dans la prise en charge de la douleur de par sa proximité avec les patients tout au long du suivi des pathologies douloureuses. L’escalade des antalgiques est une stratégie thérapeutique qui cible actuellement les douleurs par excès de nociception.
Faire préciser au patient l’intensité maximale de la douleur au cours des dernières 24 heures

Faire préciser au patient l’intensité maximale de la douleur au cours des dernières 24 heures
Crédit photo : Phanie

La classification OMS des antalgiques ne concerne que les douleurs par excès de nociception et non les douleurs neuropathiques (zona, sclérose en plaques, diabète).

Les 3 paliers de la douleur. Le palier 1 (douleurs d’intensité 1 à 3) fait appel aux antalgiques de niveau 1 comme le paracétamol et les anti-inflammatoires. Le palier 2 (douleurs d’intensité 4 à 6) utilise les antalgiques de niveau 2 ou opioïdes dits faibles comme le tramadol, la codéine et les associations tramadol-codéine ou tramadol-paracétamol et codéine-paracétamol. Enfin, le palier 3 (douleurs d’intensité supérieure à 6) fait appel aux antalgiques de niveau 3 ou opioïdes dits forts comme la morphine et plus récemment le fentanyl transdermique et transmuqueux pour les cancers.

Avec l'avancée des connaissances, une nouvelle classification dite de Beaulieu est proposée (pas encore validée sur le plan international) : une échelle à cinq niveaux avec cinq groupes d’antalgiques classés en fonction de leur mécanisme d’action et qui inclut tous les types de douleurs (nociceptives, neuropathiques, mixtes).

Questions à se poser

1- S’agit-il d’une douleur par excès de nociception ou d’une douleur neuropathique ?

2- En présence d’une pathologie cancéreuse (avec douleur nociceptive), le traitement intercurrent comme la chimiothérapie ou la radiothérapie introduit-elle une douleur neuropathique qui n’est pas accessible aux opiacés ?

3- Même s'il existe peu de CI aux antalgiques, le patient présente-t-il des risques d’effets secondaires face à une telle prescription ? Une attention particulière devra être portée aux patients avec insuffisance respiratoire surtout si celle-ci est majeure et insuffisance rénale (CI potentielles et relatives). Dans ces situations, la posologie devra être adaptée à chaque patient.

Ce qu'il faut faire

1-Diagnostic du mécanisme physiopathologique de la douleur - Identifier le type de douleur – neuropathique ou par excès de nociception. Le médecin généraliste peut s’aider du questionnaire DN4 (Douleur Neuropathique 4, quatre questions en dix items). Il s’agit d’une douleur neuropathique est porté si le score est égal ou supérieur à 4/10.

2-Evaluation de l’intensité de la douleur – Les échelles analogiques ne sont pas nécessaires. L’interrogatoire du patient ciblé sur l’intensité de la douleur entre zéro (pas de douleur) et dix (douleur la plus intense) au moment de la consultation est suffisant. Il est recommandé de faire préciser au patient l’intensité maximale de la douleur au cours des dernières 24 heures et au cours de la semaine qui vient de s’écouler.

3-Traitement personnalisé - Le choix de la molécule est fonction du diagnostic de la douleur (douleur nociceptive), de son intensité et de son évolution.

Dans les poussées aiguës articulaires de maladies chroniques ostéoarticulaires chez les personnes âgées, il est recommandé de prescrire un niveau 2 ou 3 d’emblée pendant une semaine voire dix jours.

Dans les douleurs d’origine cancéreuse, la prescription se fait désormais en fonction de l’intensité de la douleur. Si celle-ci est supérieure à 6, il est recommandé de prescrire d’emblée un niveau 3 sans passer par les niveaux 2 ou 1. Pour les douleurs de fond du cancer, il est recommandé de prescrire une forme à libération continue. En cas d’accès douloureux paroxystique, une forme à libération immédiate (Sevredol, Actiskenan) doit être ajoutée.

Quelques règles concernant la posologie

Le respect la chronopharmacologie des molécules est la règle principalement pour le paracétamol, les anti-inflammatoires et la codéine. Ne pas indiquer systématiquement « matin, midi et soir » mais préciser la prescription selon la chronopharmacologie de la molécule (par exemple, toutes les 6, 8 ou 12 heures).

Ne pas être systématique dans la posologie. Celle-ci doit être adaptée à la douleur du patient au cours des 24 heures avec, par exemple des interdoses prescrites si douleurs intercurrentes dans la journée et pas de prise nocturne si absence de douleur la nuit.

Dans les douleurs cancéreuses, si prescription de plus de 4 interdoses par jour, nécessité de réévaluer la posologie de l’opiacé de fond ou à libération prolongée (nécessité de l’augmenter).

Lutter contre les effets indésirables comme la constipation et le ralentissement du transit (codéine). Éviter de prescrire des opiacés dans des douleurs neuropathiques. Non indiquée dans ces symptômes, cette prescription nécessiterait ultérieurement l’hospitalisation du patient pour sevrage.

4-Référer aux spécialistes de la douleur.

Il est recommandé de référer le patient vers un spécialiste de la douleur en cas de non-réponse aux traitements antalgiques ou lorsqu’un traitement intercurrent comme la chimiothérapie ou la radiothérapie dans la pathologie cancéreuse introduit une douleur neuropathique qui n’est pas accessible aux opiacés.

Ce qu'il faut retenir

1-Différencier douleur nociceptive et neuropathique

2-Pas de CI à la prescription d’antalgiques

3-Pas de posologie systématique mais une prescription adaptée à chaque patient (respect de la chronopharmacologie et des variations de l’intensité de la douleur sur 24h).

4-Si non-réponse aux traitements, référer le patient au spécialiste de la douleur pour une prise en charge pluridisciplinaire

 

 

D’après un entretien avec le Pr Alain Serrie, médecine de la douleur et médecine palliative, hôpital Lariboisiére (Paris)
(1) Médecine de la Douleur pour le Praticien (Février 2020 - Editions Elsevier) – 90 co-auteurs, Pr Alain Serrie

Dr Isabelle Stroebel

Source : Le Quotidien du médecin