Frontières

À mi-chemin entre la ville et les urgences, les centres de soins non programmés divisent

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Publié le 23/09/2022
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Les centres de soins non programmés ou « immédiats » se multiplient. Certains affichent leur indépendance, d'autres se regroupent en fédération avec une charte de qualité. Si le modèle a le vent en poupe, il est pointé du doigt par les pouvoirs publics et certains syndicats médicaux.
Dans la banlieue de Metz, le centre médical de soins immédiats (CMSI) est rattaché à l'hôpital Robert Schuman, un Espic

Dans la banlieue de Metz, le centre médical de soins immédiats (CMSI) est rattaché à l'hôpital Robert Schuman, un Espic
Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Ils s'appellent Urg+, Smuca, CensoMed, CMSI France ou UrgenceMed… Ces structures aux acronymes étranges ont fleuri sur le territoire, du Grand Est à l'Auvergne-Rhône-Alpes, en passant par la région Paca ou les Pays de la Loire. Appelés centres de soins non programmés ou parfois de « soins immédiats », tous revendiquent la prise en charge sans rendez-vous de patients dans un état peu grave, permettant ainsi d'éviter de nombreux passages inutiles aux urgences.

Certains sont directement accolés à un centre hospitalier, par exemple ceux dont le service des urgences a fermé. Au moins une dizaine de structures seraient hospitalières. Mais le modèle séduit surtout dans le privé. Le centre peut être rattaché à une clinique ou monté par des praticiens libéraux ou des urgentistes en activité mixte.

En 2018 déjà, le rapport sur les soins non programmés (SNP) du député Thomas Mesnier (Horizons) dénombrait une quinzaine de centres de soins non programmés dans le privé. Ce nombre aurait plus que triplé. Pionniers dans l'Est, les centres médicaux de soins immédiats (CMSI) constituent un « label » qui abrite 11 structures en France, toutes en secteur I et avec des libéraux « indépendants ». Parallèlement, une Fédération française des centres de soins non programmés (FFCSNP), s'est créée cet été et regroupe plus d'une vingtaine de centres.

Consultations « one shot », examens paracliniques 

Ces centres ont en commun d'être ouverts généralement de 9h à 19h, de posséder un petit plateau technique et de proposer sur place examens complémentaires et bilans sanguins, radios, sutures ou attelles, mais aussi de regrouper des médecins et infirmiers libéraux. Autre dénominateur commun : les patients y sont accueillis par définition sans rendez-vous, parfois sur demande du généraliste ou de la régulation, mais bien souvent hors du parcours de soins. C'est ce dernier point – et le soupçon de logique commerciale – qui cristallise les critiques depuis plusieurs semaines, alors que se pose la question de la valorisation des soins non programmés en médecine de ville.

Agacé, MG France pointe un « danger de dérégulation du système de soins » lorsque certains se focalisent exclusivement sur les soins non programmés, en déconnexion du suivi habituel des patients. « La consultation "one shot" qui règle un problème aigu, c’est bien, mais ça ne suffit pas. Le libre accès, c’est répondre aux demandes, pas aux besoins. Cela désorganise le système », estime la Dr Agnès Giannotti, présidente du syndicat de généralistes, qui défend le rôle du médecin traitant, référent du parcours de soins. À la tête de l'URPS Île-de-France, la Dr Valérie Briole, secrétaire générale de l'UFML-S, s'est alarmée de « ces entreprises lucratives » qui « déstructurent » le travail des médecins traitants et la permanence des soins ambulatoire (PDSA), « hors tout cadre organisationnel ». L'union francilienne propose de créer un régime d'autorisation et leur inscription dans un cahier régional pour la PDS-A.

Eviter la nuit et le week-end

Certains centres seraient même dans le viseur de l'exécutif. Lors du récent congrès de la Mutualité, le ministre de la Santé François Braun, ex-chef du pôle des urgences au CHR de Metz Thionville, a pointé du doigt les urgentistes qui partent exercer dans des centres de soins immédiats « pour ne plus faire de nuits et de week-ends »« Il doit y avoir une participation de tous à la permanence de soins. Ce n’est pas possible dans la situation actuelle, soit ils participent à la garde de ville, soit aux urgences », a recadré le ministre. Or, les centres de soins non programmés se sont justement positionnés sur des créneaux de journée, en dissociant leur activité de la permanence des soins…   

Quatre ans après son rapport de 2018 sur les soins non programmés, le député Thomas Mesnier n'est pas moins critique. Outre leur capacité à gérer « une vraie urgence », « ces centres ne sont ni bons pour le patient, ni pour le système de santé, ils sont délétères car ils vident les urgences des urgentistes », étrille le médecin parlementaire, même s'il admet que les soins pratiqués « ne sont pas inutiles et répondent à une demande ».

Ancrage territorial

Reste que leur développement rapide est « symptomatique de la pénibilité » du travail aux urgences, concède Thomas Mesnier. De fait, les médecins exerçant dans ces centres sont très majoritairement des urgentistes partis de l'hôpital public pour un mode d'exercice moins fatigant ou plus compatible avec une vie de famille.

Face aux critiques, ces derniers opposent un modèle à l'interface de la médecine générale et de l'aigu, en lien avec le territoire. « Les patients peuvent nous être adressés par les généralistes aux alentours quand ils n'ont pas envie de les envoyer vers les urgences. Nous travaillons aussi avec les services hospitaliers ou des établissements de SSR, se défend la Dr Maeva Delaveau, présidente de la toute jeune Fédération française des centres de soins non programmés, ancienne urgentiste à l'Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM). On évite de faire des consultations simples si cela peut être fait par le médecin traitant, vers lequel on réoriente alors le patient. »

Compte rendu 

À l’origine du réseau des centres médicaux de soins immédiats (CMSI), le Dr Loïc Libot souligne que les patients pris en charge dans ses structures « ne relèvent pas des urgences vitales », soit « 60 à 70 % des passages actuels aux urgences ». Le centre de Nancy, l'un des premiers à avoir ouvert en France avec le soutien de l'agence régionale de santé (ARS), a pris en charge 35 000 patients l'an dernier et bénéficie d'un ancrage territorial, avance l'urgentiste. « Nous travaillons en collaboration avec le CHU, les cliniques privées et la médecine de ville, dont les CPTS : les patients sont orientés par leur généraliste, parfois viennent d'eux-mêmes, ou sont régulés par le Centre 15 et le service d'accès aux soins (SAS). Nous envoyons systématiquement un compte rendu électronique au médecin traitant après chaque consultation », plaide le Dr Libot.

Un modèle différent de certains centres de soins d'urgence, pilotés par des opérateurs privés, et qui interrogent. Le réseau UrgenceMed, qui regroupe neuf centres ouverts (tous les jours de 9h à 22h) et affiche un objectif de 50 à l'horizon 2024, est une filiale du groupe Santé Cie, spécialiste des prestations de santé à domicile, détenu à majorité par le groupe Ardian, un des leaders mondiaux de l’investissement privé.

Marie Foult

Source : Le Quotidien du médecin