Urgences de Mulhouse : une tension, en voie de généralisation ?

Publié le 17/10/2019
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Depuis quelques semaines l’attention des professionnels de santé se concentre sur la situation d’un service qui est à l’origine de nombreuses réactions et de prises de position ; celui des urgences du CH de Mulhouse.

Un déficit majeur !

Le premier point, qui est à l’origine de cette problématique au sein d’un service des urgences, est celui des démissions successives des urgentistes à l’origine d’un dysfonctionnement majeur de l’unité.

Combien de praticiens, politiques ou concitoyens, se sont posé les questions des raisons qui ont conduit à cette fuite des urgentistes ? Pas beaucoup, car derrière cette désaffection se cache une réalité : la gestion du quotidien de cette unité.

Il est triste de voir qu’aucun journaliste n’est allé à la rencontre des urgentistes de cet hôpital pour avoir plus de précisions sur les raisons de cette « crise ».

Toujours est-il que la situation devient intolérable car le directeur de l’ARS de la région a proposé de sanctionner les urgentistes démissionnaires.

Et les internes alors !

En parallèle à cette situation, les étudiants en médecine ont décidé de se mettre en grève au sein de ce service. Une nouvelle fois, nous devons nous poser des questions concernant « ce choix ». Les internes ont-ils décidé de ne plus assurer la gestion des urgences car leur nombre est trop faible ? Les internes ne refusent-ils pas de travailler sans avoir une supervision de qualité ; laquelle ne peut être effectuée lorsqu’il existe un tel déficit ?

Au-delà de ces questions, nous ne pouvons que soutenir nos futurs collègues (la plupart seront des généralistes) qui sont souvent des variables d’ajustement indispensables pour le fonctionnement des services d’urgence.

Il ne faut pas oublier qu’avec la nouvelle maquette, le stage au sein d’un service d’urgence est effectué pour les généralistes en 7e année (1er contact avec la réalité du métier). Comment peut-on accepter que des jeunes étudiants qui n’ont jamais pratiqué auparavant puissent être confrontés souvent seuls (la supervision est difficile parfois à réaliser en cas de pénurie) à des patients que les généralistes de ville ont envoyés en hospitalisation car ils ne pouvaient pas les gérer ?

Une réalité très éprouvante

Travailler en 2019 au sein d’un service des urgences pour un professionnel de santé devient de plus en plus difficile. Outre la charge de travail qui devient de plus en plus lourde, il existe également les tracasseries administratives (le poids de cette branche au sein des hôpitaux est devenu prépondérant), et il est aussi important de comptabiliser les pertes de temps pour la quête du lit adéquat pour le patient nécessitant une hospitalisation.

Un tel constat ne peut se concevoir qu’en allant travailler avec ces collègues qui sont à bout de nerfs, et qui ne sont pas satisfait de leur cadre de vie professionnel, et de leur travail (ils doivent souvent le bâcler par manque de temps).

Oui, les urgentistes sont des hommes comme les autres avec des doutes et parfois beaucoup de fatigue !

Une action politique inadéquate !

Vis-à-vis de la situation au sein des urgences de Mulhouse nous voyons que les réactions, des politiques et autres agents administratifs, restent inappropriées. Tout d’abord la pénurie actuelle a été volontairement favorisée depuis des décennies par des mesures gouvernementales visant à réduire le nombre de praticiens (ils favorisent le déficit des organismes sociaux).

La ministre de la Santé pense qu’en donnant de l’argent elle va régler cette problématique, mais elle oublie qu’il faut penser avant tout à recruter des médecins !

Comme nous l’avons vu précédemment le responsable de l’ARS en charge du CH de Mulhouse souhaite sanctionner les démissionnaires. Agir de la sorte s’apparente à vivre une situation d’un pays totalitaire où le citoyen est aliéné de toute liberté d’action.

Ce directeur, n’aurait-il pas mieux fait de proposer une participation des médecins (ils sont nombreux, je le pense) de l’ARS et autres services administratifs (Sécu…) au sein de l’unité d’urgence de Mulhouse ?

D’autres « signes forts » comme la participation de l’ancien chef de service des urgences devenu politicien, ont été relayés par les médias. Une telle réaction, aussi louable soit-elle, est-elle très ponctuelle ou régulière (ce qui serait souhaitable) ? Ne serait-il pas plus raisonnable dans ce cas de pénurie de demander à ces politiques urgentistes ou appartenant à la famille des professionnels de santé de démissionner de leur poste (ils peuvent être facilement remplacés) pour venir en aide à leurs concitoyens ?

La quasi-totalité des urgences de France concernés

La crise vécue au sein du service des urgences de Mulhouse n’est pas un cas isolé. La pénurie de médecins au sein des services des urgences est devenue une réalité dans la plupart des hôpitaux français.

Certaines structures réduisent les horaires de fonctionnement des services d’urgence pour éviter le burn-out des quelques urgentistes en place, tandis que d’autres ferment les urgences par manque de personnel.

Nous allons devoir avoir une réflexion plus étayée, et plus « professionnelle » pour trouver des solutions à ce déficit qui va s’accentuer durant au moins 10 ans. Nos dirigeants vont devoir prendre des décisions opportunes en demandant à la base des solutions (celui qui connaît le terrain peut donner des idées).

Ce n’est pas en fustigeant les professionnels de santé qui, pour la plupart, font de leur mieux au détriment de leur vie privé, que nous avancerons. Enfin, il est important pour gouverner de ne pas être uniquement populaire !

« Le propre de la sagesse et de la vertu est de gouverner bien ; le propre de l’injustice et de l’ignorance est de gouverner mal ». Platon.

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Dr Pierre Frances, Médecin généraliste, Banyuls-sur-mer (66)

Source : Le Quotidien du médecin