Grand-messe annuelle de la cancérologie, le congrès de l’American association of clinical oncology (Asco, Chicago, du 2 au 6 juin 2023) a apporté, cette année encore, son lot de scoops et de progrès dans la prise en charge des cancers. Parmi toutes les études présentées se dégagent quelques tendances, comme le recours à la biopsie liquide pour affiner la prise en charge, le choix d’options moins lourdes limitant la chirurgie ou la radiothérapie, le développement des anticorps conjugués et bispécifiques et l’irruption d’un vaccin à ARNm dans le traitement de certaines tumeurs. Avec, à la clé, des traitements de plus en plus personnalisés.
ADN tumoral circulant : un moment charnière
La « biopsie liquide » avec la recherche d’ADN tumoral circulant (ADNtc) suscite un vif engouement depuis quelques années. Si, à terme, l’espoir est de pouvoir l’utiliser dans une optique de dépistage précoce, de plus en plus d’études explorent actuellement sa valeur pronostique et son intérêt pour le suivi des patients et l’adaptation du traitement. Lesquels diffèrent selon les caractéristiques des mutations recherchées, le stade de la tumeur, sa localisation, etc.
« On peut attendre trois types de données de la biopsie liquide : soit mettre en évidence la présence d’ADNtc, ce qui peut parfois suffire, en particulier dans le suivi après traitement, soit identifier la ou les mutations susceptibles d’avoir un impact thérapeutique, soit obtenir une caractérisation moléculaire avec des outils plus complexes », explique le Pr Thierry Conroy (Nancy).
Son rôle pronostique a bien été mis en évidence dans différentes études. Dans la cohorte observationnelle Galaxy, la surveillance de l’ADNtc après chirurgie pour un cancer colorectal de stade II à IV permet de détecter la maladie résiduelle et de prédire le risque de récidive 4,7 mois avant la mise en évidence d’une récidive à l’IRM, et ce, indépendamment du statut BRAF V600E. Des études évaluent maintenant quel serait l’impact de cette surveillance pour décider ou non de l’opportunité d’un traitement adjuvant.
Dans l’essai Unicancer Safir02-Lung/IFCT130, mené dans le cancer du poumon non à petites cellules (CPNPC) à un stade avancé, après chimiothérapie, la présence d’ADNtc constitue un facteur de mauvais pronostic, corrélé avec la survenue de métastases hépatiques, la charge tumorale et la moins bonne sensibilité de la tumeur à l’immunothérapie, et ce, indépendamment du statut PD-L1. La mise en évidence d’ADNtc s’associe avec une survie sans progression et une survie globale nettement plus courtes qu’en son absence, avec respectivement 1,4 mois vs 4,4 mois (p < 0,001) et 10,1 vs 25,5 mois (p = 0,0014).
Dans le cancer du sein RH+ HER2- métastatique, l’ADNtc permet d’identifier une mutation du gène ESR1, impliqué dans la résistance à l’hormonothérapie, de façon précoce, avant les manifestations cliniques ou radiologiques. La mise en évidence de cette mutation amène à remplacer l’hormonothérapie prescrite par le fulvestrant, potentiellement plus efficace, une stratégie qui permet déjà de doubler la survie sans progression, les résultats sur la survie globale n’étant pas encore matures.
Ainsi, « l’ADN circulant est à un moment charnière de son développement. Les essais concernant son intérêt dans la surveillance thérapeutique débutent et on devrait avoir de nouveaux éléments de réponse d’ici deux à trois ans pour savoir s’il permettra d’introduire ou de modifier plus rapidement certains traitements et d’améliorer l’espérance de vie », notait le Pr Jean-Yves Blay, président d’Unicancer, lors d’une conférence de presse.
Vers la désescalade thérapeutique
Les progrès thérapeutiques permettent non seulement d’améliorer le pronostic des cancers mais laissent aussi entrevoir la possibilité, pour certaines tumeurs, de se passer de la chirurgie ou de la radiothérapie, en évitant les séquelles inhérentes. « Que ce soit en gynécologie, en ORL, en thoracique, nous allons vers une désescalade chirurgicale en réduisant le recours à des interventions lourdes », se félicite le Pr Jean-Marc Classe (Nantes).
Plusieurs études illustrent cette tendance. Ainsi, dans le cancer du col de l’utérus à un stade précoce, l’étude Shape montre que chez les patientes à faible risque de récidive, l’hystérectomie simple fait aussi bien que l’hystérectomie élargie, tout en préservant une meilleure qualité de vie. Actuellement, pour éviter le risque de récidives dans les cancers du col de l’utérus, le traitement de référence repose sur une hystérectomie élargie aux annexes, grevée de complications sexuelles et urinaires. Trois ans après l’intervention, on ne constate pas plus de rechute pelvienne en l’absence d’élargissement – 3 % dans les deux cas –, la survie globale est identique et, en revanche, on note moins de complications urinaires – rétention ou incontinence – et une meilleure qualité de vie sexuelle. « Ces résultats devraient nous permettre de proposer une chirurgie plus adaptée à condition toutefois de bien sélectionner les patientes », concluait la Dr Marie Plante (Québec).
Dans le cancer du rectum, c’est la chimiothérapie préopératoire qui pourrait éviter la radiochimiothérapie. Dans l’étude de phase III Prospect, les 1 128 patients atteints d’un cancer du rectum localement avancé (envahissement ganglionnaire dans plus de 60 % des cas) ont été randomisés pour recevoir soit une chimiothérapie de type FOLFOX modifié en néoadjuvant (et non plus après la chirurgie), soit la radiochimiothérapie u 5-FU avant l’intervention. Après les six cycles de FOLFOXm, si la régression tumorale était ≥ 20 %, l’exérèse de la tumeur était réalisée sans radiothérapie préalable ; lorsque la régression tumorale était < 20 %, une chimioradiothérapie était réalisée avant la chirurgie.
La chimioradiothérapie a été administrée à 53 personnes (9,1 %) en raison d’une réponse insuffisante ou d’une intolérance au FOLFOX. L’étude confirme la non-infériorité du FOLFOX en néoadjuvant, avec une survie sans progression à cinq ans de 80,8 % vs 78,6 % dans le bras chimioradiothérapie (p de non-infériorité = 0,0051) et des taux de survie globale similaires dans les deux groupes (90,2 % vs 89,5). « Cette stratégie permet de limiter les complications postopératoires sévères observées après chimioradiothérapie, mais aussi, sur le long terme, évite la iatrogénie neurotoxique et sexuelle », remarque la Dr Deb Schrag (New York).
Conjugués ou bispécifiques, les anticorps « deux en un » poursuivent leur chemin
Les anticorps conjugués associent un anticorps à un cytotoxique, permettant à celui-ci d’être directement délivré au niveau des cellules tumorales et d’épargner les cellules saines. Le congrès de l’Asco leur a accordé, cette année encore, une large place avec de nouveaux résultats prometteurs mais aussi quelques revers. Selon l’étude Mirasol, dans le cancer de l’ovaire avancé et résistant au platine, le mirvetuximab soravtansine, un anticorps anti-récepteur du folate alpha conjugué à un inhibiteur de microtubules, améliore la survie sans progression et la survie globale par rapport aux chimiothérapies standards, avec moins d’effets indésirables graves. En revanche, dans le lymphome de Hodgkin au stade avancé, l’essai Swog présenté en session plénière montre que l’association à la chimiothérapie d’un anti-PD1, le nivolumab, fait mieux que l’association chimiothérapie/brentuximab vedotin, un anticorps anti-CD30 couplé à un agent cytotoxique antimicrotubule sur la survie sans progression (94 % à un an vs 86 %), avec moins d’effets secondaires.
En parallèle, « les anticorps bispécifiques connaissent de plus en plus d’indications, en particulier dans les tumeurs qui répondent mal aux immunothérapies, et pourraient même dans certaines indications remplacer les CAR-T cells », explique le Pr Blay. Ces médicaments visent deux cibles, les cellules tumorales et les cellules immunitaires. Dans le myélome multiple en rechute ou réfractaire, l’elranatamab a une double action, d’une part sur les lymphocytes T CD3+ et d’autre part sur les cellules tumorales exprimant le BCMA. Dans l’étude de phase II MagnetismMM-3, il permet d’obtenir un taux de réponse objective de 61 % et près de 90 % de maladie résiduelle négative chez les patients en réponse complète.
Un vaccin à ARNm dans le mélanome
Pour la première fois, un « vaccin anticancer » prouve son efficacité dans le mélanome. Ce type de « vaccin » ou plus exactement de thérapie néo-antigénique individualisée (INT) est préparé à partir du sang et du tissu tumoral du patient. Après identification des mutations présentes dans les antigènes tumoraux, des néo-antigènes sont codés sous la forme de fragments d’ARNm (jusqu’à 34 néo-antigènes peuvent être ciblés) et conditionnés pour être injectés. Avec, à la clé, un traitement parfaitement personnalisé provoquant une importante réaction immunitaire.
Après les bons résultats obtenus dans le cancer du pancréas, l’étude Keynote-942 montre que l’ARNm-4157 associé au pembrolizumab en traitement adjuvant après exérèse dans le mélanome à haut risque améliore la survie sans récidives et sans métastases à distance par rapport au pembrolizumab seul. À 18 mois, le taux de survie sans récidive est de 78,6 % dans le bras avec vaccin vs 62,2 %, et la survie sans métastases à distance est de 91,8 vs 76,8 %. « Cette nouvelle approche thérapeutique va faire l’objet d’une étude de phase III dans le mélanome et sera évaluée dans d’autres types de cancer », conclut Adnan Khattak (Australie).