Pour prévenir ou traiter le cancer du sein précoce

La chimiothérapie par le mamelon à l’essai

Publié le 04/11/2011
Article réservé aux abonnés
1320372941295485_IMG_70645_HR.jpg

1320372941295485_IMG_70645_HR.jpg
Crédit photo : PHANIE

« NOS RÉSULTATS étayent l’hypothèse selon laquelle en traitant directement le tissu mammaire, nous pouvons obtenir une concentration bien plus puissante de médicament là ou il faut, avec beaucoup moins d’effets néfastes sur les tissus autres que le tissu mammaire », souligne le Dr Vered Stearns (Johns Hopkins Kimmet Cancer Center, Baltimore) qui a supervisé l’étude clinique.

Les options actuellement disponibles pour prévenir le cancer du sein chez les femmes à haut risque, ou pour traiter les lésions précancéreuses du sein, se limitent à la mastectomie prophylactique, la surveillance, ou une thérapie endocrinienne de cinq ans non dénuée de toxicité.

Cependant, puisque la majorité des cancers du sein prennent naissance dans les cellules bordant les canaux galactophores, l’administration intraductale des thérapies anticancéreuses pourrait exposer ces cellules à de fortes doses médicamenteuses et éradiquer les cancers préinvasifs tout en limitant l’exposition systémique.

En suivant ce raisonnement, Sukumar et Stearns ont commencé à explorer la voie intraductale il y a plus de dix ans. Ils ont montré il y a cinq ans que l’administration intraductale de doxorubicine (PLD, Pegylated Liposomal Doxorubicin) pouvait réduire le volume tumoral, éradiquer les lésions prémalignes et prévenir le développement de nouvelles tumeurs dans deux modèles rongeurs de cancer du sein - la tumeur mammaire induite par le MNU chez le rat femelle, et la tumeur mammaire survenant spontanément chez la souris transgénique Her2/neu.

Protection des glandes voisines non traitées.

Dans une nouvelle étude, Stearns et coll. ont évalué 4 autres agents anticancéreux chez la femelle rat exposée au MNU. Leurs résultats montrent que l’administration intraductale du 5-fluorouracil (5-FU), du carboplatine et du PLD peut conférer une protection contre la croissance tumorale, mais non celle du méthotrexate ou du paclitaxel (lié a des nanoparticules d’albumine).

Entre les 5 agents anticancéreux, l’administration intraductale de 5-FU s’avère être associée aux plus grands effets antitumoraux chez les rates, avec un effet protecteur contre les lésions précoces et une régression complète de la plupart des tumeurs mammaires établies.

De plus, le 5-FU offre l’avantage d’épargner les canaux galactophores de la destruction épithéliale importante observée avec le PLD.

Enfin, et c’est peut-être le résultat le plus intéressant, l’administration intraductale du 5-FU dans 4 canaux galactophores aboutit à une protection des 8 autres glandes mammaires non traitées chez les rates (qui ont 12 glandes mammaires) vis-à-vis du développement tumoral (78 % de glandes mammaires sans tumeur), avec une efficacité supérieure à celle observée par l’administration intraveineuse du 5-FU (51 % de glandes mammaires sans tumeur).

« Nous pensons que le 5-FU, à la concentration élevée obtenue par l’administration intraductale, déclenche une réponse immune qui peut supprimer la formation tumorale dans les autres canaux. C’est un aspect intéressant car certains canaux galactophores chez les femmes sont des canaux " aveugles " qui ne sont pas connectés au mamelon et ne peuvent donc pas être atteints directement par la thérapie intraductale », explique le Dr Saraswati Sukumar (Johns Hopkins University, Baltimore) qui a supervisé les études animales.

Dans le même temps, Stearns et coll. ont conduit une étude clinique de phase 1 pour évaluer la possibilité d’administrer le PLD par voie intraductale chez les femmes, la sécurité et déterminer la dose maximale tolérée de PLD (de 2 à 10 mg).

Cet essai, conduit chez 15 femmes ayant un carcinome du sein invasif en attente d’une mastectomie, montre qu’il est effectivement possible d’administrer le PLD dans un canal galactophore, par le biais d’un petit cathéter place dans le mamelon, et l’injection de doses uniques ne cause que des effets secondaires minimes (légère douleur et sensation de plénitude mammaire).

Une comparaison avec 3 femmes traitées par injection intraveineuses standard de PLD est également révélatrice. « L’administration intraductale de PLD entraîne des concentrations bien plus élevées dans le sein que dans la circulation sanguine, tandis que chez les femmes traitées par PLD intraveineux nous observons des concentrations élevées de PLD dans le sang mais des concentrations très faibles voire nulles dans le sein », précise le Dr Stearns.

Une fois tous les dix ans.

En conclusion, ces résultats suggèrent la faisabilité de l’administration intraductale d’agents anticancéreux, avec une toxicité minime ; cependant, l’innocuité devra être évaluée sur de plus longues périodes.

« Nous conduisons des études animales supplémentaires pour affiner la prochaine étude clinique qui évaluera l’administration intraductale du 5-FU chez des patientes en attente d’une mastectomie », confie au « Quotidien » le Dr Stearns.

L’objectif serait d’utiliser la thérapie intraductale pour prévenir les tumeurs chez les patientes à haut risque génétique de cancer du sein ou chez celles ayant des lésions prémalignes dans les canaux galactophores. « En théorie, on pourrait effectuer une telle procédure une fois tous les dix ans de façon à garder les seins exempts de tumeurs, une alternative à la mastectomie », estime le Dr Sukumar.

De plus, l’injection de produits naturels comme le curcumin ou la vitamine D pourrait offrir des alternatives plus sûres encore pour la prévention et le traitement du cancer du sein précoce.

Science Translational Medicine, Stearns et coll., 26 octobre 2011

 Dr VÉRONIQUE NGUYEN

Source : Le Quotidien du Médecin: 9036