Dr Maria Alice Franzoi, oncologue et chercheuse à Gustave Roussy

« La désescalade vise à minimiser le fardeau des traitements »

Par
Publié le 24/06/2022
Article réservé aux abonnés
La Dr Maria Alice Franzoi, oncologue et chercheuse à Gustave Roussy, fait partie du groupe de travail sur la désescalade au sein de la Société européenne d'oncologie médicale. La spécialiste met en perspective les enjeux pour la relation médecin-patient.

Crédit photo : DR

LE QUOTIDIEN : Vous avez participé à la définition d'un cadre réglementaire pour les essais cliniques de désescalade en cancérologie. À quels problèmes étiez-vous confrontés en pratique ?

Dr MARIA ALICE FRANZOI : À mesure qu'on a pu guérir de plus en plus de cancers, on a voulu minimiser le fardeau des traitements et de leurs effets indésirables. A-t-on vraiment besoin de tous ces traitements ? La pédiatrie est très pionnière, elle a défini depuis plusieurs années des groupes pronostiques pour adapter les traitements, car soigner un enfant doit se faire avec le moins possible de comorbidités plus tard dans la vie.

Chez les adultes, c'est plus récent, depuis environ une dizaine d'années. Jusque-là, la recherche était conduite de façon très hétérogène, sans véritable classification sur laquelle faire des choix. Or, à chaque fois qu'on diminue un traitement, on prend un risque. Il était nécessaire de donner un peu de clarté.

Le premier point était de définir ce qu'est un essai de désescalade : il doit tester la réduction ou l'omission d'un ou plusieurs traitements, mais aussi prouver qu'il y a un bénéfice. Cela peut être pour la toxicité, la qualité de vie - à court et long terme - ou la rentabilité économique. Ces aspects doivent être évalués, en particulier la qualité de vie qui était trop peu étudiée. Et cela doit être prévu dans la conception de l'étude, car les analyses post hoc ou secondaires sont intéressantes, mais pas optimales pour une application clinique.

Pourquoi est-il important de comprendre la méthodologie ?

Les biomarqueurs permettent d'identifier les personnes qui seraient éligibles à moins de traitements. Ce ne serait même pas juste de le donner si l'on sait que le patient ne va pas en tirer de bénéfice. Mais un biomarqueur n'est pas parfait, on prend toujours un risque. C'est pourquoi il est si important de faire une classification pour trier le niveau de preuves - nous en avons défini trois - et donner une vision claire aux cliniciens et aux agences de santé. Notre souhait est que les chercheurs utilisent ce classement aussi pour la conception des nouveaux essais cliniques.

Un essai randomisé de non-infériorité apporte un niveau de preuve très fort, mais il prend beaucoup de temps et n’intéresse pas le secteur pharmaceutique. Il est plus simple de se diriger vers un essai à bras unique, mais il faut savoir qu'il comportera plus de biais.

L'un des essais de désescalade le mieux conduit est TailorX dans le cancer du sein avec le biomarqueur génomique Oncotype : il a permis de définir les patientes ménopausées qui bénéficient le plus de la chimiothérapie. Désormais, si le risque est intermédiaire, les femmes ne reçoivent que de l'hormonothérapie sans chimiothérapie.

Comment la désescalade est-elle perçue par les patients ?

Mon travail est de personnaliser les traitements et de définir avec eux une qualité de vie acceptable. Certains patients sont tranquilles et confiants, mais beaucoup ne sont pas à l'aise avec le mot désescalade. Ils n'aiment pas le terme parce qu'ils pensent recevoir un moins bon traitement, ils ont peur. Je préfère utiliser les termes personnalisation, individualisation ou modulation. Il est important de rester transparent et d'expliquer quel risque est pris pour quel bénéfice.

La recherche, notamment à Gustave Roussy où vous travaillez, mise à l'avenir sur l'intelligence artificielle (IA) et les essais in silico. Ces approches ne vont-elles pas simplifier grandement les choses pour la désescalade ?

L'approche est prudente. Les essais cliniques restent nécessaires. Les résultats de l'IA doivent être validés dans plusieurs cohortes externes. Citons l'exemple du Breast Cancer Index, une signature génomique pour guider la durée de l'hormonothérapie dans le cancer du sein localisé. L'agence du médicament aux États-Unis, la Food and Drug Administration (FDA), a autorisé son utilisation après validation dans deux sous-analyses secondaires d'essais cliniques prospectifs. Il est possible de s'en servir mais en gardant à l'esprit qu'il n'y a pas d'essai randomisé ayant testé cette stratégie, le niveau de preuve est donc inférieur.

Propos recueillis par la Dr I. D.

Source : Le Quotidien du médecin