La perte du chromosome Y facilite le cancer

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Publié le 23/06/2023
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Crédit photo : PHANIE

Alors que la perte du chromosome Y concerne 10 à 40 % des cancers de la vessie, quelles sont les conséquences sur la croissance tumorale ? Une équipe du centre du cancer Cedars-Sinai à Los Angeles montre que ce phénomène lié au vieillissement est corrélé à des cancers de la vessie plus agressifs. Leurs travaux publiés dans « Nature » démontrent qu'il existe une altération de la fonction des cellules T et un échappement immunitaire. Sur le plan thérapeutique, ce mécanisme explique pourquoi les tumeurs deviennent plus sensibles aux inhibiteurs de checkpoint anti-PD-1.

La perte du chromosome Y, qui s'observe dans certaines cellules avec l'âge, est associée à une mortalité cardiovasculaire augmentée, avait déjà montré une publication dans « Science » en 2022. L'impact biologique et clinique dans le cancer n'avait, en revanche, jamais été évalué jusque-là.

L'étude californienne établit ainsi « pour la première fois, une connexion entre la perte du chromosome Y et la réponse du système immunitaire contre le cancer », souligne le Dr Dan Theodorescu, directeur du centre du cancer Cedars-Sinai, et auteur senior. « Nous avons découvert que la perte du chromosome Y permet aux cellules du cancer de la vessie d'échapper au système immunitaire et d'avoir une croissance très agressive », poursuit-il.

Une agressivité liée à l'échappement immunitaire

Dans un premier temps, les chercheurs ont créé un score d'expression du chromosome Y basé sur la quantification de l'ARN chez 300 hommes ayant un cancer de la vessie localement avancé, répertoriés dans The Cancer Genome Atlas (TCGA). Il ressort que la survie était significativement altérée chez les 118 ayant une faible expression du chromosome Y (Y-) par rapport aux 182 ayant une expression élevée (Y+). 

Afin de mieux comprendre les mécanismes en jeu, l'équipe a entrepris des expériences in vitro et chez la souris. En culture cellulaire, les tumeurs Y+ avaient une croissance similaire à celles Y-. En revanche, il est ressorti chez des souris immunocompétentes que les tumeurs Y- étaient plus agressives que celles Y+. Les scientifiques ont expliqué, à l'aide de la cytométrie de flux, une dysfonction ou un épuisement des cellules T dans le microenvironnement tumoral Y-.

« Le fait que nous ayons vu une différence seulement quand le système immunitaire est en jeu est la clé de l'effet de la perte du Y dans le cancer de la vessie, explique le Dr Theodorescu. Quand les cellules tumorales perdent leur chromosome Y, elles épuisent les cellules T. »

Des conséquences thérapeutiques

Si les tumeurs Y- sont plus agressives, elles sont aussi plus sensibles à l'immunothérapie par anti-PD-1 et PD-L1, selon des données obtenues chez le rongeur et lors d'essais cliniques. « Par chance, ce cancer agressif a un talon d'Achille, puisqu'il est plus sensible aux inhibiteurs de checkpoint que les cancers avec un chromosome Y intact », souligne pour sa part Hany Abdel-Hafiz, chercheur au centre du cancer Cedars-Sinai et co-premier auteur.

Les auteurs postulent que la perte du chromosome Y est une stratégie adaptative développée par les cellules tumorales pour échapper au système immunitaire dans différents organes. « L'épuisement des cellules T peut être partiellement annulé avec les inhibiteurs de checkpoint, mais si nous pouvions empêcher sa survenue initiale, il y aurait beaucoup de potentiel pour améliorer les patients », estime le Dr Theodorescu.

Ces résultats pourraient avoir aussi des implications chez les femmes, puisque le chromosome Y présente un lot de gènes apparentés sur le chromosome X, appelés les gènes paralogues. Ces derniers pourraient jouer un rôle dans les deux sexes, ce qu'il serait intéressant d'étudier de plus près. Quoi qu'il en soit, « la nouvelle connaissance fondamentale apportée ici pourrait expliquer pourquoi certains cancers sont de plus mauvais pronostic chez les hommes ou les femmes, et quelle est la meilleure façon de les traiter, souligne le directeur du centre du cancer Cedars-Sinai. Cela illustre aussi que le chromosome Y fait plus que déterminer le sexe biologique humain ». 

 


Source : lequotidiendumedecin.fr