Cancer colorectal

Le bénéfice de la coloscopie pour le dépistage généralisé enfin démontré

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Publié le 24/03/2023
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Alors qu'elle est une modalité de dépistage du cancer colorectal dans de nombreux pays, la coloscopie n'avait jamais été évaluée face à un groupe témoin. Pour la première fois, les résultats d'un essai contrôlé randomisé apporte la preuve de ses bénéfices sur le risque de cancer colorectal et de décès.
L'efficacité réelle de la coloscopie pourrait être surestimée, car les études peinent à prendre en compte les réticences

L'efficacité réelle de la coloscopie pourrait être surestimée, car les études peinent à prendre en compte les réticences
Crédit photo : Burger/Phanie

La coloscopie figure parmi les options disponibles pour le dépistage du cancer colorectal. Elle est majoritairement utilisée aux États-Unis pour cette indication et couramment en Allemagne. Mais contrairement aux autres modalités que sont les tests de recherche de sang occulte dans les selles (FIT pour Fecal Immunochemical Test) et la sigmoïdoscopie, elle n’avait jamais été évaluée dans un essai contrôlé randomisé.

Un essai baptisé Nordic-European Initiative on Colorectal Cancer (NordICC) a tenté de combler ce manque. Les résultats de cet essai contrôlé randomisé* ont été publiés dans « The New England Journal of Medicine ». « C’est un article attendu depuis 10 ans, car jamais aucun essai de ce type n'avait été mené », commente le Pr Robert Benamouzig, chef du service de gastroentérologie à l’hôpital Avicenne à Bobigny (Seine-Saint-Denis) et membre de la Société nationale française de gastroentérologie (SNFGE).

Des données d'études de cohorte avaient estimé que cet examen était associé à une diminution de 40 à 69 % de l'incidence du cancer colorectal et à une baisse de 29 à 88 % du risque de décès spécifique. Mais l'efficacité réelle de la coloscopie pourrait être surestimée, car ces études peinent à prendre en compte les réticences à participer à une colosopie pour le dépistage.

Mené en Pologne, en Norvège, en Suède et aux Pays-Bas entre 2009 et 2014, l'essai NordICC a impliqué 84 585 participants présumés en bonne santé et âgés de 55 à 64 ans. Parmi eux, 28 220 ont reçu une invitation à réaliser une coloscopie de dépistage. Les 56 365 autres ont reçu les soins habituels, qui pouvaient comprendre une coloscopie si nécessaire. « Deux critères ont été évalués : le taux de participation au dépistage par coloscopie après une invitation et la différence de risque de cancer à 10 ans selon la stratégie adoptée », souligne le Pr Benamouzig.

Il en ressort d’abord que, dans ces pays où la coloscopie de dépistage était peu courante, seulement 42 % des participants invités à un dépistage ont effectivement effectué l’examen, avec des variations selon les pays allant de 33 % en Pologne à 60,7 % en Norvège.

Un recul de 18 % du risque de cancer colorectal à 10 ans

Dans les analyses en intention de dépistage, le risque de cancer colorectal à 10 ans était de 0,98 % dans le groupe ayant reçu une invitation et de 1,20 % dans le groupe de soins habituels, soit une réduction du risque de 18 % (risque relatif à 0,82). « Ce recul de 18 % du risque apporte la preuve que l’invitation à la coloscopie réduit probablement la mortalité. Surtout, cette étude quantifie l’effet, qui se révèle proche de celui obtenu avec le FIT, qui réduit de 15 % le risque de cancer colorectal, alors que les taux de participation à la coloscopie sont moindres que pour le FIT », indique le Pr Benamouzig.

Par ailleurs, l’étude évalue le risque de décès par cancer colorectal à 0,28 % dans le groupe invité et 0,31 % dans le groupe de soins habituels (risque relatif à 0,90), tandis que le risque de décès, toutes causes confondues, était similaire dans les deux groupes : 11,03 % dans le groupe invité et de 11,04 % dans le groupe recevant les soins habituels. « Le nombre nécessaire de patients à inviter à réaliser un dépistage pour prévenir un cas de cancer colorectal était de 455 », indiquent les auteurs.

Malgré leur intérêt, ces résultats ont eu peu d’écho notamment en France, s’étonne le chef de service de l’hôpital Avicenne, « peut-être que la quantité de bénéfices est moins importante qu’espéré ». Pourtant, poursuit-il, « c'est la première fois que la quantité d'effet protecteur associée à la proposition de réaliser une coloscopie est documentée ».

Un dépistage coût-efficace encore à définir

Dans les analyses ajustées pour estimer l'effet du dépistage si tous les participants assignés au hasard avaient effectivement participé, le risque de cancer colorectal est passé de 1,22 % à 0,84 %, et le risque de décès lié au cancer colorectal de 0,30 % à 0,15 %. Ainsi, une participation de 100 % conduirait à une diminution de 31 % du risque de cancer colorectal et de 50 % des décès associés. Ce bénéfice est « probablement sous-estimé », jugent les auteurs, car, « comme dans la plupart des autres essais à grande échelle sur le dépistage du cancer colorectal, nous ne pouvions pas ajuster tous les facteurs de confusion importants dans tous les pays », expliquent-ils.

L’enjeu reste donc la participation au dépistage. « Dans les pays latins, le taux de participation à la coloscopie plafonne autour de 25 %. En France, on subodorait déjà, d’après les données non randomisées de la littérature, l’effet attendu et décrit dans l’étude, à peu près similaire à celui du FIT. Or, c’est bien plus coût-efficace de faire un FIT suivi d’une coloscopie dans 4 % des cas que de la proposer à tous les Français de plus de 45 ou 50 ans », estime le Pr Benamouzig.

Un essai randomisé actuellement mené en Espagne pour comparer la coloscopie au FIT devrait apporter un autre éclairage sur les bénéfices de chacune des modalités de dépistage. Les premiers résultats, présentés de façon informelle à l’occasion des Journées francophones d'hépato-gastroentérologie et d'oncologie digestive à Paris du 16 au 19 mars, seront publiés dans l’année à venir.

Un autre enjeu du dépistage par coloscopie porte sur la qualité de l’examen qui dépend des équipements mais aussi de l’opérateur. « Le défi actuel de la discipline, c’est d’avoir les meilleurs endoscopistes possibles, par une formation initiale de qualité et continue permanente. C’est un travail quotidien qui ne fait que commencer », insiste le Pr Benamouzig.

*M. Bretthauer et al. NEJM, 2022. DOI: 10.1056/NEJMoa2208375

Elsa Bellanger

Source : Le Quotidien du médecin