Pr Hervé Dombret, CHU Saint-Louis (Paris)

Leucémies lymphoblastiques aiguës : une survie améliorée à trois ans par une optimisation du protocole

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Publié le 31/01/2023

Dans les leucémies lymphoblastiques aiguës sans chromosome Philadelphia (LAL Ph-) de l’adulte, un bénéfice, lié à une optimisation de protocole, a été mis en évidence lors du congrès de l’American Society of hematology (ASH, 10-13 décembre 2022). En effet, réduire l'intensité de la chimiothérapie à partir de 45 ans, et greffer en fonction du niveau de maladie résiduelle minimale (MRM), améliorent la survie à trois ans.

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Forte des résultats obtenus en pédiatrie dans les LAL Ph- depuis les années 1980, l'intensification des doses de chimiothérapie a ensuite été appliquée chez l'adulte, conduisant à un doublement de survie. Le bénéfice de cette stratégie est néanmoins limité par l'augmentation du nombre de décès toxiques. Dans son essai GRAALL-2014, dont les résultats étaient présentés en avant-première à l’ASH, le groupe GRAALL a donc décidé de tester une approche un peu moins intensive (1).

Une maladie rare de l'adulte

« Bien qu’il s’agisse d’un des cancers les plus fréquents de l’enfant, les LAL sont relativement rares chez l'adulte », rappelle le Pr Dombret. Parmi elles, les LAL-B avec chromosome Philadelphia (Ph+) représentant 25 % des cas (pic d'incidence vers 45 ans), les LAL-T 25 % (pic épidémiologique vers 11 ans), et les LAL-B Ph- 50 % (deux pics à 5 et 30-55 ans). Ainsi, l’incidence des LAL Ph- (de la lignée B ou T) est d’environ 200 cas par an, chez les adultes âgés de 18 à 60 ans. C'est sur cette population que l’essai GRAALL-2014 a évalué une désintensification du traitement. Au total, 743 patients nouvellement diagnostiqués ont été recrutés entre 2014 et 2020. « Leurs caractéristiques sont tout à fait superposables à celles de la population de l'essai historique GRAALL-2005 (758 pts), excepté un peu plus d'atteintes du système nerveux central (12 % versus 7 %). Dans ces LAL Ph- de l'adulte, l’étude GRAALL-2005 avait validé le protocole intensif permettant de passer de 30-35 % à 60-70 % de survie à cinq ans », précise le Pr Dombret (2).

Une réduction des doses de chimiothérapie

Dans GRAALL-2014, à partir de 45 ans, les doses de prednisone ont été réduites de 50 % (60 mg/m² J1-J7 versus J1-J14), la daunorubicine de 29 % (150 mg/m² versus 210 mg/m²) et la L-Asparaginase de 25 % (6x6000UI/m² versus 8x6000UI/m²) en phase d'induction et d'intensification retardée. Par ailleurs, l'allogreffe en première rémission a été réservée aux seuls patients chez lesquels persistaient des taux élevés de maladie résiduelle mesurable (MRD) après une ou deux cures (MDR ≥ 10-3 après induction, ou MDR2 ≥ 10-4 après consolidation). « Partant d'un taux d’indication d'allogreffe de 65 % dans l’essai GRAALL-2005, nous sommes passés à 30 % dans GRAALL-2014 », souligne le Pr Dombret. En outre, à partir de 45 ans, le conditionnement prégreffe a été réduit à 8 Gy, associé à la fludarabine.

Un recul des décès toxiques

Les données mettent en évidence une superposition des taux globaux de réponse complète (RC : 93 % versus 92 %), mais une nette amélioration chez les plus de 45 ans (92 % versus 86 % ; p = 0,045) liée à une réduction des décès toxiques. Les décès post-induction ont été globalement divisés par deux (3 % versus 6 %) et presque par trois chez les patients de 45 ans ou plus (3 % versus 11 %). Les allogreffes réalisées en première rémission ont elles aussi reculé (23 % versus 38 %), en particulier chez les moins de 45 ans (21 % versus 40 %). En revanche, l'adaptation des doses d'induction à partir de 45 ans a généré plus de recours à un second traitement d'induction (9 % versus 5 %). Au total, les décès en RC, liés aux traitements, ont reculé de 11 % à 3 %. « On est passé de 17 % à 7 % chez les 45-59 ans et de 8 % à 4 % chez les 18-44 ans », souligne le Pr Dombret.

« Malgré une augmentation des rechutes (35 % versus 28 % à 3 ans), la survie a globalement progressé. La survie à trois ans est autour de 71 % dans GRAALL-2014, avec 3,2 ans de suivi médian, versus 64 % dans GRAALL-2005, avec 5,2 ans de suivi médian. Ce bénéfice est retrouvé dans les deux tranches d'âge, chez les 19-44 ans (75 % versus 68 %) comme chez les 45-59 ans (61 % versus 54 %), constate le Pr Dombret. Ainsi, cette optimisation thérapeutique du protocole associant une adaptation des doses de chimiothérapie à l'âge et une réduction des greffes, guidées non plus sur des critères précoces de mauvais pronostic mais sur la réponse après induction (niveau de maladie résiduelle), a permis d'améliorer la survie globale à trois ans de ces adultes âgés de 18 à 59 ans, sans nette perte de chances ».

À l'heure de l'arrivée des anticorps bispécifiques

« Dans cet essai, le bénéfice en survie est restreint aux LAL-B. Le pronostic des LAL-T n'a pas bougé. C'est probablement lié à l'apport des nouvelles immunothérapies utilisées pour traiter les rechutes des LAL-B (blinatumomab, inotuzumab ozogamicin, CAR T-cells) », explique Hervé Dombret. Le blinatunomab, anticorps bispécifique associant un anti-CD3 à un anti-CD19 destiné à mettre en contact les lymphocytes T cytotoxiques et les blastes cibles, a donné des résultats particulièrement encourageants en première ligne dans un essai de consolidation des LAL-B Ph- à haut risque de rechute, présenté en parallèle de l'ASH par le groupe GRAALL (3). L'utilisation de ces nouvelles immunothérapies en première ligne pourrait bien venir chambouler le traitement des LAL-B. Dans une étude de phase III du groupe américain ECOG présentée à l'ASH (4), l’ajout du blinatunomab (quatre cures) après la chimiothérapie d'induction chez des patients en RC (en consolidation après première rémission) a prolongé la durée de rémission et amélioré la survie. Lors de l'analyse intermédiaire sur 224 patients MRM négatifs, à 43 mois de suivi médian, la survie atteint 83 % dans le bras blinatunomab/chimiothérapie, versus 65 % avec la chimiothérapie de consolidation seule. « Ces résultats suggèrent qu'à l'avenir cette nouvelle thérapie soit indiquée en première ligne en consolidation chez tous les patients, indépendamment de leur réponse », projette le Pr Dombret.

D'après un entretien avec le Pr Hervé Dombret ( CHU Saint Louis, Paris)
(1) Boissel N et al. In Adults with Ph-Negative Acute Lymphoblastic Leukemia (ALL), Age-Adapted Chemotherapy Intensity and MRD-Driven Transplant Indication Significantly Reduces Treatment-Related Mortality (TRM) and Improves Overall Survival – Results from the Graall-2014 Trial. Abstract 50, ASH, La Nouvelle Orléans, décembre 2022
(2) Huguet F et al. Intensified Therapy of Acute Lymphoblastic Leukemia in Adults: Report of the Randomized GRAALL-2005 Clinical Trial J Clinic Oncol 2018:36:2514-23J Clinic Oncol 2018:36:2514-23
(3) Boissel N et al. Blinatumomab during Consolidation in High-Risk Philadelphia Chromosome (Ph)-Negative B-Cell Precursor (BCP) Acute Lymphoblastic Leukemia (ALL) Adult Patients: A Two-Cohort Comparison within the Graall-2014/B Study. Abstract 221. ASH, La Nouvelle Orléans, décembre 2022
(4) Litzow M et al. Consolidation Therapy with Blinatumomab Improves Overall Survival in Newly Diagnosed Adult Patients with B-Lineage Acute Lymphoblastic Leukemia in Measurable Residual Disease Negative Remission: Results from the ECOG-ACRIN E1910 Randomized Phase III trial conducted by the NCI National Clinical Trials Network. Late Breaking Abstract 1, ASH, La Nouvelle Orléans, décembre 2022

Pascale Solere

Source : lequotidiendumedecin.fr