Tumeurs intracanalaires papillaires et mucineuses du pancréas

Quelle stratégie de surveillance adopter ?

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Publié le 15/12/2022
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Chez des patients éligibles à une chirurgie pancréatique à visée curative, la surveillance des tumeurs intracanalaires papillaires et mucineuses du pancréas (TIPMP) s’appuie sur l’imagerie et l’écho-endoscopie, en l’absence d’atteinte du canal pancréatique principal et de critère de dégénérescence. Elle dépend de la taille des lésions, et de l’histologie de la pièce chirurgicale si une intervention a été réalisée (nécessaire en cas de haut risque de malignité). Le parenchyme doit aussi être surveillé, dû au risque non négligeable de cancer pancréatique concomitant.

Crédit photo : SPL/PHANIE

Les TIPMP sont des lésions canalaires intraépithéliales développées aux dépens des canaux pancréatiques. Leur prévalence dans la population est comprise entre 4,73 et 6,6 % et augmente avec l’âge, jusqu’à 11,4 % au-delà de 60 ans (1-3). Elles apparaissent plus fréquemment chez les sujets à haut risque de cancer du pancréas (antécédent familial, syndrome génétique prédisposant). Le pronostic évolutif de ces lésions dépend de l’éventuelle atteinte du canal pancréatique principal, et d’un éventuel terrain familial (et/ou génétique) à risque de cancer du pancréas. En cas d’antécédent familial de tumeur pancréatique, le risque de dégénérescence ou de cancer concomitant est plus élevé que dans la population générale (11,1 à 17,6 % contre 2,1 à 2,9 %) [4,5].

Une relation génétique avec un cancer pancréatique concomitant ?

Une étude majeure (6) a été menée à partir des pièces opératoires de 69 patients présentant une TIPMP et un cancer invasif (56 adénocarcinomes, 13 cancers colloïdes). « Pour réaliser l’analyse mutationnelle, les chercheurs ont procédé à une extraction de l’ADN au niveau du cancer et des lésions de TIPMP, adjacentes et à distance de la tumeur, détaille la Dr Rodica Gincul, hôpital privé Jean Mermoz (Lyon). Tous les cancers colloïdes dérivaient des TIPMP associés. Par contre, chez les 56 patients avec des lésions de TIPMP et un adénocarcinome canalaire concomitant, la tumeur provenait des TIPMP dans seulement 51 % des cas. De manière surprenante, 18 % des TIPMP et des adénocarcinomes concomitants étaient indépendants. Ceci suggère que le cancer concomitant émanait d’un précurseur génétiquement indépendant, et qu’il existait un risque accru de néoplasie de l’ensemble de la glande pancréatique chez certains patients ».

Prendre en compte les critères de risque de malignité

Le premier objectif de la surveillance est de détecter des lésions pré-invasives (dysplasiques de haut grade) et le cancer du pancréas dérivant de TIPMP, ou concomitant, au stade précoce (T1N0M0). En effet, la prise en charge dépend des éventuels critères de risque de malignité, qui peuvent amener à discuter d’une intervention chirurgicale. Les deux dernières recommandations parues, européenne (7) et internationale (8), retiennent les critères suivants comme haut risque de malignité : ictère, nodule mural ≥ 5 mm prenant le contraste, masse solide, diamètre du canal du Wirsung ≥ 10 mm, cytologie positive. Les critères inquiétants sont : présence de symptômes, nodule mural de moins de 5 mm, épaississement pariétal (ou des cloisons) prenant le contraste, diamètre du canal de Wirsung entre 5 et 9 mm (ou disparité brutale du calibre, associée à une atrophie d’amont), croissance de 5 mm ou plus sur deux ans de la lésion kystique, diamètre d’au moins 30 mm de cette lésion.

Chez les patients ayant des critères de haut risque de malignité sans chirurgie (non opérables), la survie globale à cinq ans atteint 74 % à 81 % et la survie spécifique 89,9 % à 91 % (9). Le taux de mortalité globale s’élève à 30,9 %, alors que la mortalité liée à la TIPMP est de 11,6 %.

« En l'absence de critères de haut risque ou inquiétants, c’est la taille des lésions qui détermine la stratégie et le rythme de la surveillance ultérieure, souligne la Dr Rodica Gincul. La surveillance doit être réalisée à six mois la première année, puis annuellement. L’échoendoscopie est indispensable pour surveiller les lésions de 2 cm ou plus. En cas de tumeur invasive, la surveillance se calque sur celle du cancer pancréatique opéré. En cas de dysplasie de haut grade et/ou d’atteinte du canal pancréatique principal, elle est conseillée tous les six mois pendant deux ans, puis annuellement. En cas de dysplasie de bas grade, elle est identique aux TIPMP des canaux secondaires non opérés ».

Maintenir un suivi à long terme

Trois études fournissent des données sur le suivi à long terme des patients avec TIPMP des canaux secondaires (10-12), la cohorte française (12) étant la seule à avoir été conduite de manière prospective (1 817 patients). La durée de surveillance médiane était comprise entre 52 et 82 mois. « Finalement, les trois études démontrent un faible taux de dégénérescence (cancer et dysplasie de haut grade) : inférieur à 1 % dans la cohorte française et estimé entre 4,9 % et 7,8 % dans les deux autres essais, résume la Dr Gincul. L’incidence du cancer du pancréas concomitant, non-dérivé de la TIPMP, varie de 10 % à 44 %. Le risque de malignité persiste et augmente avec la durée de la surveillance. C’est pourquoi la surveillance doit être maintenue au long cours, même si son rythme actuel est probablement excessif dans le cas de lésions de petites tailles. Des études coût-efficacité devront être menées ».

D'après la présentation de la Dr Rodica Gincul au congrès Vidéo-Digest Cours Intensif, 3-4 novembre 2022
(1) Zanini et al. Estimation of the prevalence of asymtomatic pancreatic cysts in the population of San Marino. Pancreatology. 2015 Jul-Aug;15(4):417-22.
(2) Signoretti M et al. Results of surveillance in individuals at high-risk pancreatic cancer : A systematic review and meta-analysis. United European Gastroenterol J. 2018 May;6(4):489-99.
(3) Roch AM et al. Are BRCA1 and BRCA2 gene mutation patients underscreened for pancreatic adenocarcinoma ? J Surg Oncol. 2019 May;119(6):777-83.
(4) Nehra D et al. Intraductal papillary mucinous neoplasms : does a family history of pancreatic cancer matter ? Pancreatology. 2012 Jul-Aug;12(4):358-63.
(5) Mandai K et al. Does a family history of pancreatic ductal adenocarcinomaand cyst size influence the follow-up strategy for intraductal papillaty mucinous neoplasms of the pancreas ? Pancreas. 2014 Aug;43(6):917-21.
(6) Felsenstein M et al. IPMNs with co-occurring invasive cancers: neighbours but not always relatives. Gut. 2018 Sep;67(9):1652-62.
(7) European Study Group on Cystic Tumours of the Pancreas. European evidence-based guidelines on pancreatic cystic neoplasms. Gut. 2018 May;67(5):789-804.
(8) Tanaka M et al. Revisions of international consensus Fukuoka guidelines for the management of IPMN of the pancreas. Pancreatology. 2017 Sep-Oct;17(5):738-53.
(9) Stefano Crippa et al.  Low progression of intraductal papillary mucinous neoplasms with worrisome features and high-risk stigmata undergoing non-operative management: a mid-term follow-up analysis. Gut 2017 Mar;66(3):495-506.
(10) Pergolini I et al. Long-term Risk of Pancreatic Malignancy in Patients With Branch Duct Intraductal Papillary Mucinous Neoplasm in a Referral Center. Gastroenterology. 2017 Nov;153(5):1284-94.
(11) Oyama H et al. Long-term Risk of Malignancy in Branch-Duct Intraductal Papillary Mucinous Neoplasms. Gastroenterology. 2020 Jan;158(1):226-37.
(12) Rebours V. TIPMP des canaux secondaires : une surveillance excessive ? Les réponses de TEAM-P. JFHOD 2022

Hélène Joubert

Source : lequotidiendumedecin.fr