Avancée thérapeutique

Un anticorps conjugué homologué dans les cancers du sein métastatiques exprimant faiblement Her2

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Publié le 28/02/2023
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Suite aux résultats de l’étude Destiny-Breast04 (1), ovationnés lors du dernier congrès américain d’oncologie (ASCO), le trastuzumab déruxtécan (T-Dxd, Enhertu) a obtenu le 23 janvier une AMM européenne, dans le cancer du sein (CS) métastatique avec une faible expression de HER2 (HER2 faible). Au-delà d’une nouvelle option thérapeutique attendue, cet anticorps conjugué transforme la prise en charge, en redéfinissant la population de patientes.

Crédit photo : GARO/PHANIE

Historiquement, les CS sont considérés soit HER2 positifs (HER2+, 15 à 20% des cas surexprimant le récepteur HER2), soit HER2 négatifs (HER2-, 80 à 85%). Les premiers possèdent un score 3+ en immunohistochimie (IHC) ou 2+ avec une surexpression confirmée en hybridation in situ (HIS+), et peuvent bénéficier depuis le début des années 2000 d’une thérapie ciblée anti-Her2 : le trastuzumab (Herceptin). Les seconds (score IHC 2+/HIS-, 1+ ou 0) étaient jusqu’à présent privé de ce type de traitement. Mais dans les recommandations françaises du Groupe d’étude des facteurs pronostiques immunohistochimiques dans le CS (GEFPICS) mises à jour en 2021, une nouvelle dichotomie apparaît parmi la population HER2- : elle dissocie les 50% de patientes exprimant faiblement HER2 (IHC 2+/HIS- et IHC1+) des 30% avec un score IHC 0. « C’est un nouveau paysage, on étend aujourd’hui les possibilités thérapeutiques à beaucoup plus de patientes, exprimant Her2 à de faibles niveaux. Il nous faut maintenant bien différencier les IHC 0 et 1+, explique la Pr Frédérique Penault-Llorca, anatomopathologiste et directrice du centre Jean Perrin (Clermont-Ferrand). De plus, le statut Her2 est dynamique, car il n’est pas lié à une activation oncogénique. Il faut l’évaluer à différents stades de la maladie, car il peut être réactivé ». Parmi la population HER2 faible, 65% des tumeurs expriment des récepteurs hormonaux (RH+) et 35%, dites triple négatives (TN), ne les expriment pas (RH-).

Première thérapie anti-HER2 bénéfique dans les tumeurs HER2 faible

Le T-Dxd conjugue un anticorps monoclonal anti-HER2 et un inhibiteur de la topoisomérase I (Dxd, molécule de chimiothérapie). Il cible ainsi les cellules tumorales exprimant HER2. Après clivage, le Dxd est libéré et entraîne l’apoptose. « Il y a aussi un effet bystander : toutes les cellules environnantes (dont celles surexprimant peu ou pas HER2) peuvent être touchées par l’action du médicament », détaille le Pr Jean-Yves Pierga, oncologue à l’institut Curie (Paris).

Cette activité a été évalué dans l’étude de phase III Destiny-Breast04, menée sur 557 patientes (89% RH+ et 11% RH-) avec un CS HER2 faible, prétraitées par chimiothérapie (CT), et recevant le T-Dxd (n=373) ou une CT (n=184). Sur l’ensemble de la cohorte, le T-Dxd réduit de 50% le risque de progression ou de décès (survie sans progression : 9,9 versus 5,1 mois, p<0,0001) et de 36% le risque de décès. « Il est rare d’avoir de tels résultats en survie globale dans cette situation métastatique, avec un gain supérieur à six mois (23,4 versus 16,8 mois, p=0,001) », reconnaît le Pr Pierga. Ce bénéfice se retrouve dans le sous-groupe de patientes RH+ (49% de réduction du risque de progression et 36% pour le risque de décès), ainsi que parmi la sous-population de mauvais pronostic de tumeurs RH- (risques réduits de 54% et 52%). En termes de tolérance, un effet secondaire spécifique à cette thérapie est la survenue de pneumopathies (12% versus 1%), interstitielles diffuses ou inflammatoires.

Quelle place dans la stratégie thérapeutique ?

Déjà indiqué dans le CS métastatique HER2+ (en seconde ligne depuis le 13 juillet 2022), le T-Dxd a reçu le 23 janvier une AMM européenne en monothérapie, chez les patientes adultes présentant un CS HER2 faible non résécable ou métastatique, prétraitées par une CT métastatique, ou ayant récidivé pendant la CT adjuvante (ou dans les six mois suivant son arrêt). Dans cette nouvelle indication, il était déjà disponible en accès précoce depuis novembre 2022, et a déjà bénéficié à 800 patientes. Au total, environ 4000 patientes seraient aujourd’hui concernées, quelles soient RH+ (60% de HER2 faible) ou triple négatives (30 à 40% de HER2 faible). Pour les 15% de CS triple négatifs, un anticorps conjugué anti-TROP2 (sacituzumab govitecan) et l’immunothérapie anti-PD1/PDL1 sont également disponibles, notamment en accès précoce post-AMM. Depuis quelques jours (fin février), une autorisation d’accès précoce pré-AMM vient également d'être accordée au sacituzumab govitecan en monothérapie, chez les patientes RH+ HER2- (IHC 0, IHC 1+ ou IHC 2+/ISH-) non résécable ou métastatique, ayant reçu au moins deux lignes de chimiothérapie. 

« Chez les patientes HER2- RH+, la stratégie en phase métastatique est de privilégier en première intention l’hormonothérapie associée à une thérapie ciblée, comme les inhibiteurs de kinase cycline-dépendante (CDK4/6) », rappelle le Pr Pierga (2). En cas d’échec, la CT peut ensuite intervenir, avant le T-Dxd (selon son AMM). « Mais, ne faudrait-il pas utiliser de suite le T-Dxd plutôt que la CT ? », interroge le Pr Pierga. C’est à cette question que l’étude en cours Destiny-Breast06, menée à un stade métastatique plus précoce chez les patientes RH+ en échec à l’hormonothérapie, essayera de répondre. Elle explorera aussi jusqu’à quel niveau d’expression de HER2 le traitement reste efficace, en évaluant un sous-groupe HER2 IHC 0+, caractérisé par un très faible marquage HER2. En effet, « dans les CS HER2 IHC 0, cela va de l’absence de marquage totale (0%) jusqu’à 10% de cellules avec un faible marquage HER2, correspondant à la catégorie ultra faible », explicite la Pr Penault-Llorca.

De plus, dans les CS métastatique HER2 faible, l’essai Destiny-Breast08 teste le T-Dxd en association. Le développement se poursuit aussi dans les CS HER2+ (aux stades précoces ou en association) et dans d’autres cancers (poumon non à petites cellules, adénome gastrique). D’ailleurs, une AMM a également été octroyée au T-Dxd le 12 décembre 2022 dans le cancer de l’estomac ou de la jonction œsogastrique HER2+, après traitement par trastuzumab.

D’après la conférence de presse des laboratoires Daiichi-Sankyo et AstraZeneca, le 15 février 2023
(1) Modi S et al. New Engl J Med, 5 juin 2022
(2) https://www.esmo.org/living-guidelines/esmo-metastatic-breast-cancer-li…

Karelle Goutorbe

Source : lequotidiendumedecin.fr