Recommandations contre l’insuffisance cardiaque

Associer plus de molécules, plus rapidement

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Publié le 20/01/2022

L’année 2021 a été fructueuse pour l’insuffisance cardiaque (IC), avec la publication des recommandations américaines, canadiennes et européennes. Elles intègrent plus de molécules avec quatre grandes familles thérapeutiques de premier plan à associer le plus rapidement possible. Mais comment en pratique instaurer précocement la quadrithérapie lors d'une IC à fraction d’éjection réduite ?

Crédit photo : phanie

Pour réduire la morbimortalité dans l’IC dès que la fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) est inférieure à 50 %, les diverses recommandations se fondent sur l’efficacité des quatre grandes classes thérapeutiques : bloqueurs du système rénine-angiotensine (SRA) [avec ou sans sacubitril], bêtabloquants, antagonistes des récepteurs aux minéralocorticoïdes (ARM) et inhibiteurs de SGLT2 (iSGLT2).

La stratégie classique consiste à instaurer une molécule, atteindre la dose optimale avant d’en associer une autre, qu’on titre à son tour… Mais cette stratégie est longue à mettre en œuvre. Or, même avec de faibles doses, il a été montré que les bénéfices de la quadrithérapie d’emblée sont plus importants qu’avec le schéma antérieur. L’analyse des données de DAPA-HF ou EMPEROR-reduced confirme la supériorité de cette nouvelle stratégie, quel que soit le schéma thérapeutique antérieur et quelles que soient les doses utilisées. « Il est clair que la prescription des iSGLT2 ne fait pas obstacle à l’augmentation ultérieure des traitements anti-neurohormonaux, fort de ces arguments, il faut passer à l’acte », insiste le Pr Michel Galinier (CHU de Toulouse).

Mais dans une population aussi hétérogène que l’insuffisant cardiaque, on ne saurait appliquer le même schéma thérapeutique pour tous. L’ordre d’instauration des molécules doit être adapté au phénotype des patients, aux niveaux de pression artérielle (PA) et de fréquence cardiaque, aux comorbidités comme le diabète, la fibrillation atriale ou l’insuffisance rénale (IR), mais il faut surtout raisonner en fonction de la situation aiguë ou chronique. 

Quel schéma en cas d’IC aiguë ?

Devant une IC aiguë, congestive, le furosémide est indispensable. Cependant, il peut provoquer des hypokaliémies. Ainsi, plutôt que de supplémenter en potassium, on préférera lui associer d’emblée un ARM. L’étude IMPULSE, présentée au congrès américain de l’AHA, a montré qu’introduire très rapidement un iSGLT2 chez un patient stabilisé est sûr et efficace. En pratique, il peut donc être instauré dès le lendemain de l’admission. On pourra ensuite ajouter un bloqueur du SRA si la fonction rénale est stabilisée, avec l’association sacubritil/valsartan en l’absence de choc cardiogénique et si le niveau tensionnel l’autorise. Par contre, chez une personne plus vulnérable, avec une PA systolique (PAS) inférieure à 100, un choc cardiogénique récent, on débutera par les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) [classe des bloqueurs du SRA].

L’échographie réalisée avant la sortie vérifie que la fonction ventriculaire droite n’est pas trop altérée afin d’autoriser les bêtabloquants, commencés à la dose la plus faible. Finalement, le patient sort avec la quadrithérapie en plus du furosémide : l’ARM le premier jour, les iSGLT2 le second, un inhibiteur du récepteur de l’angiotensine-néprilysine (ARNI, tel que le sacubitril-valsartan) ou un IEC le troisième et des bêtabloquants le cinquième jour. « Comme l’indiquent les recommandations (classe IA), on revoit le patient après une à deux semaines pour augmenter alternativement les doses d’IEC ou de sacubritil-valsatan et de bêtabloquants (la posologie des iSGLT2 restant fixe) afin d’arriver aux quatre molécules à la dose maximale tolérée », précise le Pr Galinier. 

Et dans l’IC chronique ?

Devant une IC chronique de novo avec dysfonction du ventricule gauche, symptomatique mais non décompensée, les diurétiques ne sont pas systématiques en l’absence de signes congestifs. Il faut insister d’emblée sur les traitements à action neurohormonale. Ainsi, on commence en même temps un bêtabloquant à faible posologie et un inhibiteur du SRA, toujours en privilégiant l’ARNI si la PAS est supérieure à 100 mmHg. On y associe la prescription d’un iSGLT2, qui n’impactera pas la titration ultérieure des doses de bloqueurs du SRA et des bêtabloquants, l’effet des iSGLT2 étant très faible sur la PA et nul sur la fréquence cardiaque. On revoit le patient toutes les deux à quatre semaines pour augmenter les posologies, soit alternativement, soit simultanément. Puis, les ARM sont ajoutés une fois les doses recommandées atteintes, amenant à une quadrithérapie à doses optimales au bout de deux mois.

Chez un malade déjà connu et traité restant symptomatique, qui est en principe déjà sous IEC, bêtabloquants et ARM, on prescrit un iSGLT2 en continuant le furosémide en présence de signes congestifs, ainsi qu’en diminuant de 30 % le furosémide s’il est euvolémique. « Une décision à prendre au cas par cas en fonction de l’existence de signes congestifs, des chiffres tensionnels ou de la valeur du NT-proBNP », ajoute le Pr Galinier. Chez des insuffisants cardiaques stables traités, les études DAPA-HF et EMPEROR-reduced ont démontré que l’instauration d’iGLT2 a été bien tolérée, sans hypotension symptomatique, même en l’absence de diminution de la dose de furosémide. 

Moduler les recommandations en fonction des comorbidités

En cas de FA associée, la prescription de la digoxine n’a pas été modifiée par les recommandations sur la prise en charge de l’IC.

Chez les diabétiques, qui représentent 40 % des IC, l’ARNI, les IEC et les iSGLT2 ont un effet néphroprotecteur. De plus, les hypoglycémiants « classiques » n’ayant jamais prouvé leur capacité à diminuer la mortalité, il faut privilégier les iSGLT2. Les recommandations générales s’appliquent à condition toutefois d’être vigilants sur le risque d’hypoglycémies, en particulier chez les patients sous insuline, sulfamides ou glinides. Ces deux derniers seront réduits de 50 %, voire arrêtés. En théorie, lors de l’instauration d’un iSGLT2, on diminue de 30 % les doses d’insuline, mais il est préférable de demander l’avis du diabétologue. « Les acidoses lactiques sont rares sous iSGLT2, mais il faut toutefois informer le patient de ce risque, en particulier dans une situation de jeûne comme une pathologie médicale ou avant une intervention chirurgicale », relève le cardiologue.

En cas d’insuffisance rénale, on peut observer à l’instauration des iSGLT2 une petite diminution sans conséquence de l’eGFR témoignant de leur mode d’action par vasoconstriction de l’artériole afférente du glomérule. Il est possible de les utiliser jusqu’à un débit de filtration glomérulaire de 20 ml/kg/mn, d’autant qu’ils ont une indication dans l’IR pour ralentir la détérioration de la fonction rénale.

Le risque d’infection urinaire ou génitale (mycose), lié à l’hyperglycosurie, est exceptionnel chez le non diabétique et peut être prévenu chez le diabétique par des apports hydriques supplémentaires et une toilette intime plus précautionneuse.

Il ne faut pas négliger les autres médicaments comme l’ivabradine, la digoxine, l’hydralazine ou le vériciguat (qui devrait être commercialisé). Ils vont s’avérer nécessaires avec l’évolution de l’IC car, s’ils ne diminuent pas la mortalité, ils réduisent le risque d’hospitalisation. Sans oublier la correction systématique de la carence martiale. « Toutes ces molécules sont déjà utilisées depuis quatre ou cinq ans dans d’autres pays, avec très peu d’effets secondaires. Les cardiologues doivent se saisir de ces opportunités thérapeutiques qui ont permis de diminuer par trois la mortalité de l’insuffisance cardiaque », conclut le Pr Galinier.

D’après un entretien avec le Pr Michel Galinier (CHU de Toulouse)

Dr Maia Bovard Gouffrant

Source : lequotidiendumedecin.fr