Pr Michel Galinier, CHU de Toulouse

« Les nouvelles recommandations de l’ESC sur l’insuffisance cardiaque marquées par de multiples évolutions »

Par
Publié le 20/09/2021

Les progrès réalisés depuis cinq ans ont conduit à revoir la nosologie de l’insuffisance cardiaque (IC) et, dans l’IC à fraction d'éjection ventriculaire gauche (FEVG) altérée, à abandonner la stratégie thérapeutique « pas à pas » pour une prise en charge se fondant d’emblée sur quatre classes de traitements chez tous les patients, dont une gliflozine.

Crédit photo : DR

L’année 2021 a été l’année des recommandations dans l’IC, avec les publications successives des recommandations étasuniennes, canadiennes et européennes. Ces dernières, riches de quelques 200 pages, étant les plus complètes (1).  

Une première évolution est d’ordre nosologique. « La classification de l’IC a évolué, les experts ont eu le courage de revenir en arrière sur le concept d’IC intermédiaire introduit en 2016, qui n’avait pas beaucoup de sens physiopathologique », souligne le Pr Michel Galinier. Cette évolution découle notamment de la mise en évidence, dans les études menées ces dernières années, du bénéfice net des traitements chez les patients ayant une FEVG comprise entre 40 et 55 %. Le concept d’IC à FEVG intermédiaire a donc été remplacé par celui d’IC à FEVG modérément réduite (« mildly reduced »). On distingue ainsi désormais l’IC à FEVG altérée ou réduite (≤ 40 %, HFrEF), l’IC à FEVG modérément réduite (41 à 49 %, HFmrEF), et l’IC à FEVG préservée (≥ 50 %, HFpEF).

« Cette approche est beaucoup plus simple, puisque globalement si la FEVG est inférieure à 50 % (et sans doute à terme 55 %), les médicaments sont efficaces et permettent de réduire la mortalité, alors que si la FEVG est préservée, ils ne le sont pas », indique le Pr Michel Galinier.

Les quatre piliers thérapeutiques

La fin de la hiérarchisation des traitements est la deuxième grande évolution, conceptuelle, de ces recommandations. L’intensification pas-à-pas du traitement obéissait aux données apportées par les essais, qui comparaient un nouveau traitement au précédent. Le traitement médicamenteux de l’HFrEF doit se fonder maintenant en première intention sur quatre grands piliers : les bloqueurs du système rénine-angiotensine, les bêta-bloquants, les antagonistes des récepteurs aux minéralocorticoïdes et les inhibiteurs de SGLT2 (dapagliflozine et empagliflozine), qui font leur entrée dans l’arsenal thérapeutique. Tous les patients doivent en bénéficier d’emblée, à dose faible puis augmentés progressivement (classe I). La gestion du traitement sera plus complexe, tout du moins lors de la phase d’augmentation progressive des doses. « On ne peut donc que saluer la nouvelle place faite à la télésurveillance dans ces recommandations, malgré les résultats contradictoires des essais cliniques, note le Pr Galinier. Elle fait désormais partie intégrante du traitement pluridisciplinaire de l’IC et la crise du Covid-19 a souligné l’apport des téléconsultations, qui nous permettent de gérer plus facilement l’adaptation des posologies chez nos patients ».

Cette quadrithérapie pour tous est complétée si besoin par la prescription d’un diurétique de l’anse pour contrôler les symptômes.

Des indications plus précises pour le traitement électrique

En deuxième intention, il importe de recherche si le patient relève d’un traitement électrique, dont les indications ont été affinées. Chez les patients ayant une FEVG < 35 % malgré un traitement médical bien conduit depuis trois mois et une espérance de vie supérieure à un an, l’implantation d’un défibrillateur automatique implantable (DAI) en prévention primaire est indiquée selon une recommandation de classe I en cas de cardiopathie ischémique et de classe IIa en cas de cardiopathie non ischémique. Les indications de la resynchronisation cardiaque ont elles aussi évolué. Ainsi, chez les personnes ayant une FEVG < 35 % avec un bloc de branche gauche et un QRS large (130-149 ms), un traitement médical optimal et une espérance de vie de plus d’un an, la resynchronisation relève d’une recommandation de classe IIa. 

Une adaptation au phénotype de la maladie 

Les experts européens préconisent également de mener une réflexion sur le phénotype de la maladie afin de proposer le cas échant un traitement adapté. « L’algorithme proposé est moins simple que celui des recommandations canadiennes, mais le texte qui l’accompagne est plus détaillé », rapporte le Pr Galinier. Parmi les nombreuses situations déclinées, on trouve l’IC aggravée, avec une poussée congestive récente qui peut conduire à la prescription d’un stimulateur de la guanylate cyclase, agissant sur la voie du NO et permettant de réduire le risque d’hospitalisation (mais pas celui de décès). Chez les patients en rythme sinusal rapide, l’ivabradine a toute sa place.  

Parmi les traitements non médicamenteux, on peut retenir la plus large place accordée à l’ablation par radiofréquence chez les patients ayant une fibrillation atriale qui aggrave la cardiomyopathie (classe IIa). Il en est de même pour le traitement de l’insuffisance mitrale (IM) par voie percutanée (Mitraclip), à considérer chez certains patients ayant une IM persistante malgré un traitement médical optimal (classe IIa).   

De plus, les indications de la correction de la carence martiale par voie intraveineuse se sont élargies à l’IC aiguë, si la FEVG est inférieure à 50%. 

Un algorithme diagnostique de l’amylose cardiaque est proposé, avec, point important, la perte du caractère systématique de la biopsie pour porter le diagnostic d’amylose à transthyrétine. Le tafamidis est indiqué dans les formes génétiques et sauvages. 

Citons enfin le meilleur niveau de preuves accordé à la vaccination anti-grippale et antipneumococcique, qui bénéficie désormais d’une recommandation de classe IIa. 

Les recommandations ont été rédigées avant la publication des résultats de l’étude EMPEROR-Reduced, qui ont démontré les bénéfices de l’empagliflozine  sur le critère combiné associant décès cardiovasculaires et hospitalisations pour IC (moins 21 %) et sur les hospitalisations pour IC (moins 27%). Dans l’IC à FEVG préservée, les experts préconisent donc un traitement diurétique et la prise en charge des comorbidités. Une recommandation qui est amenée à évoluer rapidement...

D’après un entretien avec le Pr Michel Galinier, CHU de Toulouse.  
(1) https://academic.oup.com/eurheartj/advance-article/doi/10.1093/eurheart…

Dr Isabelle Hoppenot

Source : lequotidiendumedecin.fr