Infarctus du myocarde et anémie

Limiter les transfusions au seuil de 10 g/dL

Par
Publié le 18/03/2021

Selon l’étude REALITY, la transfusion « libérale », dès 10 g/dL d'hémoglobine, et la transfusion « restreinte », à partir de 8 g/dL, font jeu égal en termes de morbimortalité à un mois. « REALITY n'est clairement pas en faveur d'une transfusion dès 10 g/dL en absence de signes cliniques », explique le Pr Gregory Ducrocq (CHU Bichat, Paris), investigateur principal de l'essai

Crédit photo : Phanie

L'anémie lors d'infarctus du myocarde (IDM) est de mauvais pronostic, même au seuil de 10-12 g/dL. Du coup, certains cliniciens transfusent dès 10 g/dL d'hémoglobine malgré le manque de preuves étayant cette pratique, les diverses études n'ayant pas jusqu'ici permis de conclure. Pour éclairer le débat un vaste essai, REALITY, a entrepris de tester deux stratégies dans l’IDM : transfusion « libérale » dès 10 g/dL versus transfusion « restrictive » à partir de 8 g/dL.

Plus de 650 patients inclus

REALITY est une étude ouverte de non infériorité. Au total, 668 patients ont été recrutés dans 35 hôpitaux français et espagnols entre mars 2016 et septembre 2019. Admis pour IDM associé à une hémoglobine entre 7 et 10 g/dL, ils ont été randomisés en deux bras : transfusion restrictive (dès 8 g/dL, cible 8-10 g/dL) versus transfusion libérale (dès 10 g/dL, cible 11 g/dL). Ces sujets ont 77 ans d'âge médian, 58 % sont des hommes et 50 % sont diabétiques. Les deux tiers des IDM sont des syndromes coronaires aigus (SCA) non ST+. À l'admission, le taux d'hémoglobine moyen est de 10 g/dL, puis 9 g/dL à la randomisation. Dans la majorité des cas, la cause de l'anémie est inconnue.

Le critère primaire porte sur les évènements cardiovasculaires majeurs à 30 jours (MACE: décès, récidive d'IDM, revascularisation en urgence, AVC) .

À 30 jours, le nombre le transfusions atteint respectivement 36 % vs 99,7 % dans les deux bras restrictif et libéral. Le taux global d'évènements MACE est de 11 % (bras restrictif) versus 14 % (bras libéral) et la différence répond au critère de non infériorité. Plus précisément, on atteint respectivement : 5,6 % vs 7,7 % de décès, 2 % vs 3,1 % de récurrences d'infarctus, 1,5 % vs 1,9 % de revascularisations en urgence et 0,6 % d'AVC dans les deux bras. Les durées d'hospitalisation médiane (sept jours) et le taux de patients passés en soins intensifs (16 %) ne diffère pas entre les bras.

« À 30 jours, les deux stratégies de transfusion font jeu égal en termes de morbimortalité, commente le Pr Ducrocq. Les analyses en sous-groupes et/ou à plus long terme permettront peut-être de préciser si certains patients tirent tout de même bénéfice d'une stratégie libérale ».

Transfuser ou pas dès 10 g/dL : quel rapport bénéfice/risque ?

« Actuellement, en France, en situation d'IDM, presque la moitié des cliniciens transfusent dès 10 g/dL et l'autre moitié attendent 8 g/dL (stratégie libérale 48 % vs restrictive 52 %). C'est ce qu'il ressort d'une enquête menée en préalable à l'essai REALITY. Quand Outre-Manche, tous les cliniciens transfusent systématiquement dès 10 g/dL » , explique le Pr Ducrocq. Pourquoi ? « Les SCA constituent une situation ischémique par excellence. Du coup, on a été tenté d'optimiser le taux de globules rouges – stratégie libérale – pour améliorer l'oxygénation. Mais la transfusion induit une activation plaquettaire potentiellement thrombogène. D'où la question actuelle : quel est le réel bénéfice/risque de cette stratégie en termes de pronostic ? Or, aujourd'hui, les premiers résultats de REALITY ne plaident pas pour une transfusion systématique dès 10 g/dL en absence de signes cliniques ».

Vers des analyses et études complémentaires

« L'étude REALITY, franco-espagnole, est à ce jour le plus vaste essai mis en œuvre pour répondre à cette question de la transfusion dans l'infarctus. Mais elle manque de puissance pour tester l'éventuelle supériorité de telle ou telle stratégie. Portant sur plus de 3000 patients, un plus large essai international, surtout Nord-Américain mais auquel la France participe, va permettre d'aller plus loin  » , note le Pr Ducrocq

« Par ailleurs nous allons analyser les causes de décès à un an et mener une analyse médico-économique dans les deux bras de REALITY. De plus, une analyse en sous-groupes va être réalisée, en fonction du type d'anémie (préexistante, per-procédurale, de dilution...). On est en effet devant un mix de patients puisque, inclus dans les 48 h après l'IDM, ils pouvaient être transfusés à tout moment, souligne le Pr Ducrocq. Nous allons aussi étudier, sur un pool de 100 patients, divers marqueurs biologiques (notamment d'activation plaquettaire et d'inflammation), pour tenter d'éclairer les mécanismes en œuvre dans les décès par infarctus » .

(1) G Ducrocq et al. Effect of a Restrictive vs Liberal Blood Transfusion Strategy on Major Cardiovascular Events Among Patients With Acute Myocardial Infarction and AnemiaThe REALITY Randomized Clinical Trial. JAMA 2021;325:552-60

Pascale Solere

Source : lequotidiendumedecin.fr