Prévention cardiovasculaire primaire

Renvoi de l'aspirine sur le banc de touche !

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Publié le 10/06/2022

Aux États-Unis, l'aspirine à posologie faible était encore recommandée en prévention primaire chez les plus de 40 ans à haut risque cardiovasculaire (CV). Les nouvelles recommandations de l'US Preventive Services Task Force (USPSTF) changent de cap (1). Le ratio bénéfice/risque est revu à la baisse et assorti d'une contre-indication presque formelle après 60 ans.

Crédit photo : Phanie

Jusqu'à présent, l'USPSTF préconisait l'aspirine en prévention primaire dans le haut risque CV (risque d'infarctus du myocarde ou d'AVC supérieur à 10 % à 10 ans), comme la plupart des sociétés savantes. L'aspirine était en particulier recommandée aux diabétiques et/ou en présence de plusieurs facteurs de risque CV traditionnels tel que l’âge, l’hypertension artérielle (HTA) ou le tabac…

L'intérêt de l'aspirine en prévention primaire était essentiellement fondé sur une étude datant des années 1990 (2). Mais, depuis quelques années, la controverse battait son plein. Du côté des cardiologues, plusieurs experts remettaient en cause la qualité de l’essai et pointaient les biais méthodologiques associés aux études observationnelles. Quand les gastroentérologues s'alarmaient du risque, sous-estimé selon eux, d'hémorragies intestinales associées. En 2018, trois études randomisées versus placebo, chez des patients à plus ou moins haut risque, sont venues clore le débat. En prévention primaire, elles montrent, même en cas de « haut » risque, un bénéfice modeste à insignifiant alors que le risque hémorragique est omniprésent.

Les recommandations 2022 battent en brèche la version 2016

L'USPSTF a pris son temps pour digérer l'information. Aujourd'hui, c'est chose faite. Quatre ans après la publication de ces trois études, l'USPSTF vient de revoir sa copie. En effet, la compilation des données publiées et l'étude de cohorte menée pour l'occasion montrent qu'aujourd'hui l'aspirine apporte peu en prévention primaire. Face au risque hémorragique, le ratio bénéfice/risque s’avère limité, voire défavorable après 60 ans (2).

Pour les experts, « au vu des dernières données, le bénéfice net associé à la prise d'aspirine est faible en prévention primaire, même dans en cas de haut risque CV. Ce bénéfice est néanmoins d'autant plus important que l'aspirine est commencée tôt », expliquent-ils. Avoir un haut risque CV dès 40 ans expose en effet à plus d'évènements sur une vie entière. « Le bénéfice lié à l’aspirine est toutefois en bonne partie obéré par le risque hémorragique associé, que ce soit en termes d'hémorragies intestinales, intracrâniennes et d'AVC hémorragique », ajoutent-ils (1). Le risque hémorragique progresse avec l'âge alors que le bénéfice tend à diminuer. Ainsi, plus on avance en âge, plus le ratio bénéfice/risque décroît. « L'USPSTF recommande désormais de ne plus commencer de traitement par aspirine après 60 ans, en prévention primaire, même chez les personnes à haut risque CV (niveau de preuve D). La poursuite d'un traitement en cours, commencé avant 59 ans, peut néanmoins se discuter », résument-ils. Chez les sujets âgés de 40 à 59 ans à haut risque sans antécédents, l'aspirine en prévention primaire n'est plus préconisée, sans être formellement déconseillée. « Sans aller jusqu'à écarter formellement cette option thérapeutique, l'USPSTF recommande de peser désormais très soigneusement le bénéfice/risque, individuellement pour chaque patient de 40 à 49 ans à haut risque, avant d'envisager la prescription (niveau de preuve C) ».

Ainsi, après 60 ans, exit l'aspirine en prévention primaire. Avant 60 ans, place à une prescription argumentée et réservée aux personnes sans risque hémorragique connu.

(1) Aspirin Use to Prevent Cardiovascular Disease: USPSTF Recommendation Statement. JAMA 2022;327:1577-84
(2) Del Pinto R et al. Analysis of Aspirin Use and Cardiovascular Events and Mortality Among Adults With Hypertension and Controlled Systolic Blood Pressure. JAMA Network Ope. 2022;5(4):e226952.

Pascale Solere

Source : lequotidiendumedecin.fr