Vitiligo : premier traitement remboursé en France

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Publié le 23/02/2024
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C’est un premier jalon dans une stratégie thérapeutique qui s’étoffe : le vitiligo bénéficie depuis peu d’une AMM, d’autres médicaments devraient suivre.

L’association du ruxolitinib topique à la photothérapie devrait encore améliorer les résultats

L’association du ruxolitinib topique à la photothérapie devrait encore améliorer les résultats
Crédit photo : AP-HP ST-LOUIS/GARO/PHANIE

Environ 0,8 % des Français présentent un vitiligo et beaucoup pensent qu’il n’y a rien à faire. « Nous avons mené une étude qui montre qu’environ 75 % des patients ayant un vitiligo reçoivent le message qu’il n’y a pas de traitement. Il y a donc urgence à en finir avec cette idée reçue », signale Pr Julien Seneschal (CHU Bordeaux).

Le vitiligo est une maladie auto-immune : la perte des mélanocytes est liée à l’activation du système immunitaire. Déjà disponible en Allemagne en 2023, le ruxolitinib topique (crème Opzelura) est le premier traitement remboursé en France dans le vitiligo segmentaire, en condition d’accès direct sous prescription par les dermatologues depuis le 31 janvier 2024.

Il s’agit d’un immunorégulateur ciblé qui fait partie des inhibiteurs sélectifs des Janus kinases (voie JAK). « Ces enzymes sont impliquées dans la signalisation de différents facteurs de croissance et cytokines messagers inflammatoires, qui agissent sur le maintien du mélanocyte au niveau de l’épiderme », explique le Pr Seneschal.

Même si le ruxolitinib a été évalué seul, les dermatologues ont de bonnes raisons de penser que son association à une exposition solaire pourrait optimiser encore davantage les résultats obtenus. Dans les formes les plus sévères avec des atteintes plus importantes, une étude récente montre d’ailleurs qu’une administration orale de la molécule donne de meilleurs résultats lorsqu’elle est associée à une exposition solaire.

« Cette innovation a ouvert la voie à d’autres développements thérapeutiques : il y a beaucoup d’essais en cours, qui évaluent des formes orales des inhibiteurs de JAK ainsi que des biothérapies, notamment dans les formes actives ou plus étendues. Certaines sont de nouvelles molécules, d’autres sont déjà disponibles dans d’autres indications (dans la polyarthrite rhumatoïde et dans la dermatite atopique sévère) », précise le Pr Seneschal.

Les formes plus généralisées et plus sévères de vitiligo, qui touchent, de façon symétrique et bilatérale, plus de 10 % de la surface du corps, sont concernées en premier lieu. Pour les vitiligos segmentaires, les plus rares (5 à 10 % des cas), qui ne concernent qu’un seul côté du corps, de nouvelles études seront nécessaires.

Plus de la moitié des patients sont potentiellement concernés

Quelle place pour ce nouveau topique ?

D’après son AMM européenne obtenue en 2023, le ruxolitinib en gel est indiqué chez les adultes et les adolescents de plus de 12 ans avec un vitiligo qui touche le visage et moins de 10 % de la surface cutanée du reste du corps. Plus de la moitié des personnes atteintes par un vitiligo sont donc potentiellement concernées.

Il s’agit d’un gel assez facile à appliquer, ce qu’il faut faire matin et soir, pendant six à douze mois. Concentré à 1,5 %, son efficacité a été démontrée dans deux études de phase 3 : « à 12 mois, on obtient 75 % d’amélioration du visage chez plus de 50 % des patients et plus de 50 % d’amélioration sur le corps chez plus de 50 % des patients. Les mains et les pieds, en revanche, restent assez difficiles à traiter », avertit le Pr Seneschal. La tolérance est bonne : une petite sensation de picotement à l’application et 5 à 10 % de réactions acnéiformes modérées sur les zones traitées (qui répondent, si besoin, aux traitements de l’acné) ont été signalées.

Dans les formes très actives sur le corps

Le ruxolitinib va permettre une prise en charge plus adaptée des patients, qui recevaient jusque-là, hors AMM, pour le visage et le décolleté, du tacrolimus en crème à 0,1 %, appliquée matin et soir (autorisé pour l’eczéma) ou des dermocorticoïdes de classe forte ou très forte pour le reste du corps.

Cependant, une corticothérapie par voie orale (hors AMM) garde une place dans la stratégie de traitement des formes très actives de vitiligo sur le corps, chez des patients dont on sait qu’ils vont progresser dans les trois à six mois. La corticothérapie par voie générale permet alors de stabiliser la maladie : « on donne de la méthylprednisolone, deux jours dans la semaine, pendant 12 à 24 semaines. Cela permet de stabiliser 80 % de nos patients. Une association avec une exposition solaire, soit naturelle en période estivale, soit par cabine de photothérapie le reste de l’année, est aussi préconisée », explique le Pr Seneschal. Pour le spécialiste, la médiatisation dont a bénéficié le ruxolitinib va aussi envoyer un message plus global sur le vitiligo : il s’agit d’une maladie qui se soigne.

Entretien avec le Pr Julien Seneschal (CHU Bordeaux)

Dr Nathalie Szapiro

Source : Le Quotidien du Médecin