Au-delà des caryotypes XX et XY

Biologiquement, il n’y a pas que deux sexes

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Publié le 05/03/2018
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homme femme

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Crédit photo : PHANIE

Si la question du genre et des identités sexuelles admet l’existence d’une grande pluralité de situations vécues par les individus, celle du corps sexué n’a longtemps pas été débattue et continue de véhiculer des stéréotypes pourtant battus en brèche par un nombre désormais important d’études scientifiques.

Pour Joëlle Wiels, biologiste et directrice de recherche au CNRS qui sort régulièrement de sa spécialisation en cancérologie pour étudier ces questions qui font écho à son engagement féministe de longue date, « il y a un dogme, trop bien établi, du binarisme sexué » dont l’objet est de valider « la domination masculine comme un état de fait qui structure la société tout entière ». Elle constate ainsi que « le développement des recherches sur la différence des sexes a longtemps reflété l’idéologie patriarcale qui imprègne toutes les sociétés et l’a souvent confortée en retour ». Pourtant, rappelle Joëlle Wiels, « tous les êtres humains ne sont pas répartis entre ceux qui possèdent une paire de chromosomes X et ceux qui ont un X et un Y. Dès le début des années 1960, les scientifiques ont observé des caryotypes qui présentent des formules atypiques et on sait désormais que certaines d’entre elles ne sont pas si rares. Ainsi on peut estimer qu’il y a 30 000 personnes en France qui ont 3, voire 4 chromosomes X, autant qui ont 1 X et 2 Y et 60 000 individus qui ont 2 X et 1 Y ». Ces variations au niveau chromosomique confortent donc l’existence d’une intersexuation biologique, d’autant que la surexpression ou la sous-expression de certains gènes au moment de la différenciation sexuée, qui intervient à la septième semaine de l’embryogenèse, influent également sur le phénotype. « On peut avoir deux chromosomes X et des organes génitaux mâles ou être XY et avoir des organes génitaux femelles », explique la biologiste pour qui il est évident que « la génétique est plus complexe que l’état civil ».

Sexe biologique et sexe social

Très longtemps, les scientifiques se sont basés sur un modèle impliquant que le sexe féminin serait une sorte de socle par défaut, passif, et que le chromosome Y jouerait un rôle actif et donc dominant dans la détermination du sexe. Ce n’est qu’à partir de la fin des années 1990 que la recherche sur la détermination des organes génitaux femelles, qui venait à peine de commencer, est venue valider l’idée que la détermination du sexe met en jeu des mécanismes beaucoup plus complexes que ceux envisagés précédemment et qui rendent mieux compte de la variabilité observée. Une complexité qu’Evelyne Peyre, paléoanthropologue au CNRS et au Muséum national d’histoire naturelle, co-directrice avec Joëlle Wiels d’un ouvrage de référence sur cette question, confirme retrouver dans sa spécialité : « Les très nombreuses recherches actuelles sur le sexe osseux révèlent un diagnostic plus complexe que ne le laisse supposer la bi-catégorisation. Elles prouvent que notre corps n’est pas homogène et que les critères de sexe osseux sont spécifiques de chaque population. » Selon elle, « on peut soupçonner l’impact du genre, et non du sexe biologique, dans la morphologie, donc dans l’interprétation du sexe osseux ». De fait, lorsqu’on lui demande de faire une prédiction de « sexe » grâce au squelette, « l’anthropologue est souvent confronté aux effets sociaux (alimentation, statut social, travail, contraintes vestimentaires, etc, surtout pendant l’enfance) inscrits dans un substrat biologique, ici l’os, et donc à un « sexe » déterminé non par des gènes mais plutôt par le genre ». Il s’agirait donc ici plus de « sexe social » que de sexe biologique. À ce propos, Joëlle Wiels n’hésite d’ailleurs pas à conclure que si elle « ne sait pas combien il y a de sexe », elle peut en revanche affirmer « qu’il n’y en a assurément pas que deux en termes de catégories biologiques ».

* « Mon corps a-t-il un sexe ? », sous la direction de Evelyne Peyre et Joëlle Wiels, La Découverte, 2015.

Benoît Thelliez

Source : Le Quotidien du médecin: 9645