Relaxe générale dans le procès de l’hormone de croissance

Face à la logique judiciaire, la colère des familles

Publié le 15/01/2009
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Ce que dit le jugement

Après sept mois de délibéré, le tribunal correctionnel de Paris a prononcé la relaxe des 6 prévenus : le Pr Fernand Dray, chargé à l’Institut Pasteur, d’extraire l’hormone et de la stérilier, Marc Mollet, de la Pharmacie centrale des hôpitaux, d’où sont sortis des « lots douteux », le Pr Jacques Dangoumau, directeur de la Pharmacie et du médicament au ministère de la Santé, le Dr Micheline Gourmelen, médecin-prescripteur, et Henri Cerceau, patron de la PCH. Pour les trois premiers, le parquet avait requis des peines de prison avec sursis et pour les trois autres la relaxe.

Le jugement fait valoir que la syntèse des témoignages des experts « ne permet pas d’affirmer que les pédiatres, biologistes et pharmaciens qui participaient au cycle d’élaboration et de distribution » de l’hormone « avaient conscience à partir de 1980 (...) d’exposer les malades traités par ce médicament au risque de contamination par la MCJ ». Aux yeux de la justice, cela suffit à faire tomber les accusations d’homicides et blessures involontaires. Les accusations de tromperie aggravée ont également été écartées, faute de « liens contractuels » établis entre les médecins et leurs patients.

Pour Me Yves Lachaud, qui assiste le Dr Gourmelen, l’arrêt entre dans « la logique du droit, car les faits allégués ne méritaient pas de qualification pénale. Je me réjouis, dit-il, que dans cette affaire de santé publique des plus sensibles, la justice ait résisté à la pression médiatique. »

Cependant, le tribunal a retenu une responsabilité civile, conformément à l’article 470 du code de procédure pénale, à l’encontre des Drs Dray et Mugnier, qui devront verser des dommages et intérêts, un peu moins de 500 000 euros, à quelques familles pas encore indemnisées. « Il y a faute civile », admet Me Guy-Charles Humbert, conseil du Dr Elisabeth Mugnier, en soulignant que « les intérêts civils se trouvent garantis par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux ».

La colère des familles

« Je suis écœuré, outré, scandalisé, triste pour les familles qui ont perdu, à ce jour, 117 enfants, et pour les autres qui craignent d’attraper cette saloperie de MCJ, s’emporte Philippe Mériaux, père d’un fils de 30 ans soigné par hormone de croissance extractive, qui imagine le pire chaque jour, administrateur de l’association MCJ-Hormone de croissance contaminée regroupant 35 victimes. Je suis en colère. "Ils" nous considèrent comme des moins que rien. Dix-sept ans que nous cherchons à être reconnus comme des victimes à part entière ! »,

« Quelle catastrophe judiciaire ! », s’exclame Jeanine Goerrian, présidente de l’Association des victimes de l’hormone de croissance (AVHC, 55 décès). « La dernière cartouche à tirer est celle du parquet, espérons qu’il fera appel, dit au « Quotidien » Philippe Mériaux. Sans quoi, le procès de l’hormone de croissance est enterré à tout jamais. La seule qualification sur laquelle les familles dites à risque - celles aux 1 781 enfants encore en vie ou en sursis - pouvait se raccrocher était la "tromperie aggravée sur la qualité". Or, la 31 e chambre du tribunal correctionnel de Paris s’est déclarée incompétente, nous entraînant vers une procédure civile pour des dommages et intérêts. Ce que nous voulions, c’était la reconnaissance de l’état de victime et des sanctions pénales. »

« Nous avons eu droit à un jugement à la sauvette, prononcé en 45 secondes ; quand le président a quitté la salle d’audience, les parties civiles se pressaient encore pour entrer dans le prétoire », témoigne Me Bernard Fau. Pour l’avocat, conseil de 195 parties civiles (AVHC), « le résultat est décevant. Nous étions en droit d’attendre des déclarations de culpabilité, à l’endroit notamment du Pr Dray, en charge de la préparation de l’hormone, et du Dr Mugnier, qui collectait les glandes crâniennes. Il n’en est rien, dans les 180 pages qui nous ont été remises, dont 10 de motivations, lesquelles renvoient à l’absence de faute caractérisée au regard de l’homicide involontaire et écartent, au détour d’un artifice juridique, l’infraction pénale de "tromperie aggravée", sachant que les patients auraient reçu des médicaments d’un service public et non dans le cadre d’une relation contractuelle. Souhaitons, au nom du fonctionnement de l’institution judiciaire et de l’image de la justice en France, un appel du parquet. »

Et maintenant

À la sortie du tribunal, un appel du parquet semblait logique, tant aux avocats des parties civiles (dans le droit français, ces dernières ne peuvent faire appel que des intérêts civils) qu’à la défense. Le défenseur du Dr Gourmelen s’y attend lui aussi, avec l’espoir que sa cliente, tout comme le Pr Dangoumau et Henri Cerceau ne seront pas concernés. « La décision d’appel, si elle intervient, sera au plus haut niveau », selon Me Francis Triboulet, avocat du Pr Fernand Dray. Et c’est à la garde des Sceaux, Rachida Dati, que les parties civiles ont décidé de s’adresser.

PHILIPPE ROY (avec RENÉE CARTON)

Source : lequotidiendumedecin.fr