Pr Judith Aron-Wisnewsky, nutritionniste

« La classification de la sévérité de l'obésité va au-delà de l'IMC »

Par
Publié le 19/05/2023
Article réservé aux abonnés
En juin 2022, la Haute Autorité de santé, en partenariat avec la Fédération française de nutrition, a publié des recommandations de bonnes pratiques visant à améliorer la prise en charge de deuxième et troisième niveaux de l'obésité de l’adulte. Très attendues, elles précisent notamment la manière d'évaluer la sévérité des patients. La Pr Judith Aron-Wisnewsky, nutritionniste et co-autrice, en détaille les mesures fortes.

Crédit photo : P. Tournaire

LE QUOTIDIEN : Pourquoi ces nouvelles recommandations étaient-elles si attendues et dans quel contexte ont-elles été élaborées ?

Pr JUDITH ARON-WISNEWSKY : Il était temps d'avoir des recommandations sur la prise en charge médicale des obésités les plus sévères, il n'y en avait pas jusque-là, c'est donc un grand changement ! En France, les dernières dataient de 2011 et portaient sur la prise en charge médicale de premier recours. Quant à celles pour la chirurgie, elles remontent à 2009 ; elles sont en cours de réactualisation et paraîtront au cours du deuxième semestre 2023.

Ce nouveau document - qui contient 42 recommandations fondées sur un argumentaire détaillé de plus de 200 pages - est le fruit d'un long processus. Le groupe de travail a été constitué dès juillet 2020. La Pr Marie-Claude Brindisi, professeure de nutrition, et moi-même avons été nommées en tant que chargées de mission pour rédiger l'argumentaire sous la direction du Pr Éric Bertin, nutritionniste à Reims, et du Pr Jacques Delarue, nutritionniste à Brest. Mises en ligne en juin 2022, nos recommandations sont destinées à tous les professionnels susceptibles de prendre en charge l’obésité de l’adulte.

Quelle est la mesure phare en termes de prise en charge médicale ?

La première grande nouveauté est d’avoir proposé une nouvelle classification française pour grader la sévérité de l’obésité qui va au-delà de l'IMC seul. L'IMC est certes un bon outil mais présente des limites. Certains patients ont un IMC de 30, mais une obésité très sévère en raison de la présence de troubles du comportement alimentaire gravissimes, d'une obésité d'origine génétique ou bien d'une insuffisance d'organe associée. Et à l'inverse, certains patients avec un IMC de 40 ne présentent pas nécessairement de complications.

Avant nous, les Canadiens et les Anglais en particulier, avaient déjà proposé, dès 2009, des classifications de sévérité non restreintes à l'IMC, mais elles n’avaient pas encore été mises en pratique en France.

Ainsi, en plus de l'IMC, six items sont à prendre en compte : le retentissement médical ; le retentissement fonctionnel ou sur la qualité de vie ; les troubles psychopathologiques et/ou cognitifs ou encore du comportement alimentaire ; l'étiologie de l’obésité ; et la trajectoire pondérale. Ce sont des critères que le médecin peut évaluer facilement en consultation. Cette gradation permet d'adresser vers l'un des trois niveaux de recours.

Quels sont les autres principaux changements ?

Une deuxième évolution majeure est la préconisation de dépister toutes les complications de l'obésité sévère. Dans les recommandations de 2011 sur la prise en charge de premier recours, seuls un bilan lipidique et une glycémie chez les plus de 45 ans étaient préconisés. Pour les patients en obésité sévère, il faut aller plus loin dans le diagnostic, le dépistage et la prise en charge des comorbidités associées qui sont nombreuses. Il s'agit notamment du diabète, des troubles du sommeil ou de la stéatose.

Une troisième évolution est de proposer une prise en charge large et pluriprofessionnelle des différents aspects du mode de vie : alimentation, psychologie, mobilité, autonomie, activité physique, qualité de vie… Le plan social est aussi à prendre en compte car il existe malheureusement un fort gradient social dans l'obésité, ce qui peut rendre complexe la prise en charge, certains soins (consultation diététique ou psychologique) n'étant pas ou peu remboursés par la Sécurité sociale.

Dans les 37 centres spécialisés d'obésité (CSO) identifiés en 2012, la prise en charge a toujours été pluridisciplinaire, avec des diététiciens, des psychologues, des éducateurs en activité physique, des ergothérapeutes… Ici, nous détaillons aussi quelles sont les évaluations nécessaires pour chacun des patients pris en charge en niveau 2. À noter que la HAS a publié en février 2023 un guide qui précise le parcours de soins des patients adultes en situation de surpoids ou d'obésité.

Quelle place pour les médicaments dans la prise en charge ?

De nouveaux médicaments, surtout des analogues du GLP1, sont venus renforcer la prise en charge de l'obésité. Ils sont disponibles uniquement dans les niveaux de recours 2 et 3, et toujours en deuxième intention, après une prise en charge médicale et nutritionnelle bien conduite.

Dans des situations extrêmes, il peut toutefois être justifié de prescrire un médicament en première intention. C'est le cas par exemple d'un patient qui aurait une insuffisance d'organe et qui ne peut pas mettre en place les changements préconisés ou bien d'un patient dont la mobilité est complètement réduite.

Un nouveau traitement est aussi disponible pour le traitement de certaines obésités génétiques : le setmelanotide.

Propos recueillis par C. C.

Source : Le Quotidien du médecin