Pr Patrick Fénichel : « Il faut remettre en cause la chirurgie bariatrique pré-conceptionnelle, trop toxique »

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Publié le 03/12/2020

Le relargage massif de polluants lipophiles après la chirurgie bariatrique questionne sa pratique avant une grossesse. Il vaut mieux la reporter après ou attendre au moins 18 mois avant d’envisager une grossesse.

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Les polluants organiques persistants (Pops), perturbateurs endocriniens lipophiles, sont séquestrés dans les adipocytes. Résultat, ils sont relargués lors de perte de poids. La chirurgie bariatrique est-elle associée à un relargage massif ? C’est ce que s’est attaché à confirmer un travail mené à l’hôpital de l’Archet (CHU de Nice), où l’on opère en moyenne 350 personnes par an (1). « Ses résultats montrent que la chirurgie bariatrique induit un relargage massif dans le sang de Pops, avec une cinétique potentiellement délétère en cas de grossesse programmée juste après chirurgie, car tous ces polluants traversent le placenta et se concentrent également dans le lait maternel. Cela plaide pour faire précéder grossesse de la chirurgie ou bien décaler la grossesse de 18 mois après chirurgie », explique le Pr Patrick Fénichel (CHU de Nice), gynécologue, endocrinologue et expert médical sur les perturbateurs endocriniens qui présentait ces résultats lors du dernier congrès de la Société française d’endocrinologie (SFE).

Une étude prospective post-chirurgie bariatrique menée sur 100 super obèses

L’étude, menée à Nice, porte sur la concentration sérique de 67 composés ou métabolites — interdits ou pas — polluants organiques persistants (Pops) halogénés. Parmi eux, un grand nombre sont très lipophiles, comme les pesticides organochlorés (OCPs), les retardateurs de flamme polybromés (BFRs), les substances polyfluoro-alkylées (PFAS), les bisphényls polychlorés (PCBs). D’autres le sont moins comme les perfluorés (PFOA et PFOS).

Ils ont été dosés par chromatographie ou spectrométrie de masse au laboratoire Laberca de Nantes à T0 puis à 3 mois, 6 mois et 12 mois après chirurgie bariatrique, dans une cohorte prospective de 100 patients obèses morbides des 2 sexes. Parmi eux, il y avait 73 femmes, dont 53 en âge de procréer (19-49 ans). Globalement, ils avaient un IMC de [41-42,5]. Ils ont perdu en moyenne 30 % de leur poids initial à 1 an post-chirurgie (— 40 kg pour les hommes, — 36 kg chez les femmes).

Des taux de Pops très élevés, allant de + 30 à +140 % des valeurs sériques initiales

Après la chirurgie, les taux de tous les composés dosés — à l’exception des perfluorés, peu lipophiles donc peu stockés dans les adipocytes — ont augmenté de manière intense et progressive.

À un an, l’augmentation oscille de plus 30 % à plus 140 % des valeurs initiales selon les produits. Par exemple les taux sériques sont passés, 1 an après la chirurgie, en valeurs médianes :

— de 37 à 86 ng/g pour le PCB153 (+130 %),

— de 60 à 136 ng/g pour le dichlorodiphényldichloroéthyléne (+120 %),

— de 10 à 20 ng/g pour l’hexachlorobenzène (+110 %).

Ni l’IMC initial, ni la présence d’un syndrome métabolique, ni la technique chirurgicale utilisée (sleeve ou by pass) ni l’insulinorésistance n’influent cette élévation. En revanche, le sexe et la perte de poids ont une influence : la concentration augmente de 3,1 à 3,6 % par kg de poids perdu. De même que les propriétés physicochimiques des composés, notamment le degré de chloration pour les PCBs et/ou la lipophilie. Ce qui explique que le taux en PFAs, peu lipophiles, n’a pas bougé quand a contrario le taux en PCBs a explosé.

Au total, le taux qui agrège les 6 principaux PCBs (ΣPCBs) dépasse la concentration critique d’imprégnation chez 25 % chez les femmes en âge de procréer (13 femmes sur 53) au bout d’un an, alors qu’il ne le dépassait que chez 4 % d’entre elles avant la chirurgie (2 femmes sur 53).

Ces taux, qui dépassent la valeur critique sérique (VCI) recommandée par les guidelines internationales, conduisent d’ailleurs parfois à une dose journalière estimée excessive dans le lait maternel, notamment pour les PCBs (ΣPCBs), le PCB153, l’hexachlorobenzène, la dieldrine, l’heptachlore, et l’oxychlordane. Avec à la clé un problème potentiel lors de l’allaitement.

Une problématique à prendre en compte lors de désir de grossesse

« Ce travail vient confirmer l’existence d’un relargage massif et prolongé — sur plus de 12 mois — de Pops lipophiles dans le sang après chirurgie bariatrique. Il pose, chez la femme, le problème de la grossesse. Nombre de femmes super-obèses se voient conseiller ce type de chirurgie en préconceptionnel. Or, cette chirurgie bariatrique va exposer leur fœtus en développement à ce relargage massif. Ils vont subir une imprégnation toxique potentiellement délétère en particulier au niveau du système nerveux central et de l’appareil reproductif (2,3,4). Et, les taux restant élevés longtemps, l’allaitement peut à son tour exposer le tout-petit à des taux élevés de Pops », explique le Pr Fénichel.

« En bref, la chirurgie bariatrique préconceptionnelle engendre une exposition périnatale aux Pops potentiellement toxique. Il faut donc la remettre en cause », martèle-t-il.

« Une perte de poids modérée (moins de 10 %) associée à de l’exercice pendant 3 mois peuvent suffire à améliorer la fertilité par FIV et réduire le risque de complications obstétricales, sans passer par la chirurgie bariatrique, propose le Pr Fénichel. Plus globalement, au moins faut-il rediscuter de la chirurgie bariatrique préconceptionnelle et être prêt à la reporter après la grossesse ou bien à décaler la grossesse d’au moins 18 mois après cette chirurgie. » Sans oublier les conseils diététiques destinés à accélérer l’élimination hépatobiliaire des Pops (fibres, résines [5]) et réduire leur exposition secondaire.

Entretien avec le Pr Patrick Fénichel, Université Côte d’Azur, CHU de Nice, Département Endocrinologie, Diabète et Reproduction et Inserm U1065-C3M, Nice 

(1) P Fenichel et al. Relargage des polluants organiques persistants au cours de la perte de poids induite par chirurgie bariatrique : faut-il craindre des complications à court et long terme ? - Annales d’Endocrinologie 2020.;81 :175 -. DOI : 10.1016/j.ando.2020.07.107

(2) J Braun et al. Early-life exposure to EDCs: role in childhood obesity and neurodevelopment.   Nat Rev Endocrinol. 2017;13: 161-173

(3) F Brucker-Davis et al. Cryptorchidism at birth in Nice area (France) is associated with higher prenatal exposure to PCBs and DDE, as assessed by colostrum concentrations. Human reproduction 2008; 23:1708-18

(4) B Eskenazi et al. In utero and childhood polybrominated diphenyl ether (PBDE) exposures and neurodevelopment in the CHAMACOS study. Environ Health Perspect 2013,121:257-62(5) JR Jandacek et al. Reduction of the body burden of PCBs and DDE by dietary intervention in a randomized trial . J Nutr Biochem 2014;25:483-8

 

Pascale Solère

Source : lequotidiendumedecin.fr