Pr Pierre-Yves Benhamou : « La crise du Covid-19 fait décoller la téléconsultation en diabétologie »

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Publié le 30/04/2020

La majeure partie de consultations de diabétologie sont désormais assurées à distance, avec un niveau de satisfaction très important chez les professionnels et chez les patients, malgré la précipitation de cette transition.

Crédit photo : DR

La crise du Covid-19 va-t-elle permettre de donner un coup d’accélérateur à la télémédecine dans le domaine de la diabétologie ? C’est en tout cas le sentiment du Pr Pierre-Yves Benhamou, chef du service de diabétologie du CHU de Grenoble. « Avant cette épidémie, la principale forme de télémédecine dans notre spécialité était la télésurveillance, explique-t-il. Celle-ci faisait l’objet d’une expérimentation (Etapes) mais qui n’avait pas encore décollé comme cela avait été envisagé. Seulement quelques centaines de patients avaient été inclus alors qu’on en espérait plusieurs milliers. La crise du Covid-19 a permis d’intensifier l’utilisation des outils de télésurveillance, en les couplant avec des outils de téléconsultation. »

Jusque-là, la téléconsultation, pourtant prévue dans les textes depuis 2018, n’était que très peu utilisée par les diabétologues. « Et du jour au lendemain, nous y avons massivement eu recours, avec un niveau de satisfaction vraiment très important chez les professionnels comme chez les patients. Les professionnels, qui avaient parfois quelques réticences, sont aujourd’hui convaincus de l’intérêt de la consultation à distance. Et quant aux patients, beaucoup, une fois la téléconsultation terminée, m’envoient un mail pour me dire qu’ils ne pensaient pas que ce mode de consultation pouvait être aussi performant », explique le Pr Benhamou.

Aucune consultation programmée n’a été reportée

Pour mettre en place ces téléconsultations, le centre de diabétologie du CHU de Grenoble s’est appuyé sur un outil (Sisra) existant au niveau de toute la région Rhône-Alpes : une plateforme de dossier médical et de messagerie sécurisée utilisée par tous les professionnels de santé de la région. « Il se trouve qu’à Grenoble, nous avions commencé à développer un peu, dès cet hiver, cet outil de téléconsultation. Cela nous a permis d’aller assez vite quand a été décidé l’arrêt de toutes les consultations physiques non urgentes », explique le Pr Benhamou, en précisant que les patients peuvent utiliser un smartphone, une tablette ou un ordinateur pour téléconsulter.

Résultat, aucune consultation programmée, en mars ou avril, n’a été reportée. « Pour ma part, j’ai essentiellement une patientèle avec des diabètes de type 1. J’ai fait au moins 50 % de mes consultations en téléconsultation et les autres par téléphone. Il est à noter, au passage, que nous n’avons eu aucune décompensation chez nos patients de type 1 alors que c’était une de nos craintes au départ », précise le Pr Benhamou.

Des mises sous insuline à distance

« Nous avons aussi géré quelques décompensations de diabète de type 2 en téléconsultation, avec des patients que nous avons pu mettre sous insuline à distance. Je veux ici saluer le travail des infirmie∙res de certains de nos prestataires de santé, avec lesquels nous avions développé des protocoles de coopération. Elles ont formé les patients à la mise sous insuline avec des tutoriels vidéo. Parfois, aussi, elles ont utilisé des logiciels qui leur permettaient de prendre la main sur l’ordinateur des patients, un peu comme le font les informaticiens. Ensuite, au quotidien, ces infirmie∙res assurent un suivi des patients, en leur montrant comment faire remonter leur glycémie ou ajuster les doses d’insuline. Et, deux ou trois fois par semaine, elles m’envoient un mail pour que je valide les décisions qu’elles ont prises. Dans la totalité des cas, ces décisions sont tout à fait pertinentes », souligne le diabétologue.

Le pied diabétique, talon d’Achille

En urgence, la téléconsultation n’a pas encore permis de gérer le pied diabétique comme nous l’espérons, entre autres car la définition des images n’est pas suffisante avec l’outil de téléconsultation ; cela nécessite une organisation plus complexe du côté du patient. Les cas les plus simples ont pu être gérés par téléphone d’après les photographies envoyées par messagerie. « Dans les cas les plus sévères, nous avons quand même été obligés de faire venir les patients pour les hospitaliser », indique le Pr Benhamou, en ajoutant être assez confiant quant à un maintien d’une partie de ces téléconsultations après la crise du Covid-19. « Il semble qu’une partie des professionnels et des patients devraient être partants pour continuer à utiliser cet outil. Cela évite notamment aux patients de se déplacer au CHU, ce qui est un gain de temps énorme. Mais il n’est pas non plus envisageable de garder la téléconsultation pour tous les patients. Certains auront toujours besoin d’une consultation physique et d’un contact de proximité. L’acceptabilité psychologique à long terme reste à évaluer », estime le Pr Benhamou. Selon lui, il devrait aussi être possible d’utiliser certaines applications pour monter des séances d’éducation thérapeutique de groupe à distance.

Entretien avec Pierre-Yves Benhamou, professeur d’endocrinologie, chef du service de diabétologie du CHU de Grenoble et responsable du groupe de travail de la SFD sur la télémédecine et les technologies émergentes

Antoine Dalat

Source : lequotidiendumedecin.fr