Cancer du pancréas et incrétines

Un nouvel argument rassurant

Publié le 16/11/2015
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Il existe un surrisque de cancer du pancréas chez les patients diabétiques, de type 1 comme de type 2 (X 2 chez eux). Depuis la commercialisation des incrétines, leurs effets directs de stimulation du pancréas – tant endocrine que trophique exocrine (lire aussi page 8) – par les taux chroniquement élevés de GLP1, ainsi que quelques signaux rapportés par certains – de pancréatites et de cancers du pancréas (1) – , ont amené les agences à les mettre sous surveillance.

À ce jour, de nombreux travaux plaident contre l’existence d’un tel surrisque chez les diabétiques sous incrétines : métaanalyses des études de phase II et III, registres divers en Europe et aux États-Unis (German database, par exemple).

Plus récemment, les résultats des très grandes études menées avec ces deux classes afin d’en évaluer leur sécurité cardiovasculaire – SAVOR TIMI pour la saxaglipine ; EXAMINE pour l’alogliptine ; TECOS pour la sitaglitpine ; ELIXA pour le lixisenatide – n’ont pas confirmé ce surrisque de cancer pancréatique. Certes, elles n’avaient pas été conçues pour évaluer spécifiquement ce surrisque et leur durée médiane – 1,5 à 2,5 ans – a été jugée trop courte pour l’apprécier.

Toutes ces données restent rassurantes : à ce jour, les alertes ne sont pas confirmées par les agences FDA et EMA, ni la HAS.

Si on peut donc sérieusement douter de ce surrisque de cancer du pancréas sous incrétines, les études n’étant pas conçues pour ni de durée suffisante, les opposants farouches à cette « relativement nouvelle » classe de traitement ont continué à lancer des alarmes dans la presse médicale et généraliste, et la suspicion persiste chez nombre de praticiens.

Le registre danois

L’étude présentée au congrès est la plus importante conduite selon nous depuis que cette question a été abordée (2). Elle est fondée sur 3 registres danois portant le même identifiant : sur les prescriptions de médicaments ; les hospitalisations ; les données générales de santé de chaque assuré social danois. Ils sont opérationnels depuis 1968, 1977 et 2004, donc une période en mesure de prendre en compte l’effet des nouveaux antidiabétiques.

La méthode, étude cas-témoins, a consisté à comparer 6 036 patients ayant développé un cancer à 60 ans, à 360 personnes non porteuses de ce cancer et appariés pour l’âge, le sexe et le lieu de résidence. La prise de traitements antidiabétiques a été colligée ainsi que l’existence d’antécédents de pancréatite, de lithiase biliaire, d’alcoolisme et de BPCO (marqueur de tabagisme) et l’indicateur de comorbidité Charlson. Deux comparaisons (OR) ont été réalisées, celle sur les antidiabétiques entre eux d’une part, et versus pas d’antidiabétiques d’autre part.

La première conclusion est que, quel que soit l’antidiabétique utilisé (y compris l’insuline), le surrisque de cancer du pancréas existe chez les diabétiques : OR = 2,6 [2,4 – 2,8]. De même, les patients atteints de ce cancer avaient plus souvent que les contrôles des antécédents de pancréatite chronique (3,6 vs 0,3 %), de calculs biliaires (10,7 vs 5,3 %), d’obésité (4,0 vs 2,9 %), d’alcoolisme (6,5 vs 3,9 %), de maladie pulmonaire chronique (21,2 vs 17,9 %).

La consommation d’iDPP4 et aGLP1 s’accompagne d’un accroissement de risque de cancer (OR de 3 en moyenne) mais ce constat, à première vue préoccupant, est compensé par le fait que ceci vaut aussi pour les autres classes d’antidiabétiques, y compris la metformine. On note que le surrisque le plus important concerne les nouveaux utilisateurs d’antidiabétiques – depuis moins de 3 mois souvent – ce qui laisse penser que, chez nombre de diabétiques, le cancer est révélateur du diabète.

Enfin et surtout, la comparaison de ce risque selon l’antidiabétique ou la combinaison d’antidiabétiques reçue est très parlante. Si la metformine monothérapie est prise comme référence (à noter : la monothéraptie SU expose au même risque), le surrisque de cancer est accru de façon strictement égale par la bithérapie avec sulfamides ou avec incrétines. Fait remarquable, plus le nombre d’antidiabétiques est grand, plus le risque de cancer du pancréas s’accroît ; ceci va de pair avec l’ancienneté du diabète et le besoin d’escalade thérapeutique.

Quoique leurs mécanismes d’action soient totalement différents, le risque de cancer du pancréas est identique pour toutes les classes utilisées. Les incrétines n’accroissent pas ce risque, qui est d’abord lié à celui du diabète. Les patients sous insuline sont à plus haut risque, probablement du fait que le recours à l’insuline signe des désordres métaboliques plus importants, donc des situations de plus grande comorbidité et d’ancienneté de diabète de type 2.

Professeur Émérite Faculté de médecine et de sciences Joseph Fourier, Grenoble

(1) Elashoff M Gastroenterology 2011 et autres travaux du groupe de Peter C Buttler

(2) RW Thomsen et al. Risk of pancreatic cancer associated with use of incretin-based therapy and other glucose-lowering agents: a nationwide case-control study in Denmark.

Pr Serge Halimi

Source : Congrès spécialiste