Infectiologie

Guérir l'hépatite B : traquer le virus dans ses réservoirs

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Publié le 30/06/2023
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Le virus de l’hépatite B fait l’objet d’un vaste programme de recherche de la part du Centre international de recherche en infectiologie de Lyon, financé par MSDAvenir. Le but : comprendre les outils employés par le virus pour s’installer de façon persistante dans les hépatocytes afin de les retourner contre lui.
Seulement 5 % des malades sont dépistés au niveau mondial

Seulement 5 % des malades sont dépistés au niveau mondial
Crédit photo : Burger/Phanie

Il touche 300 millions de personnes dans le monde mais il n'existe toujours pas de traitement curatif. Quelles pistes explorer pour mieux comprendre les mécanismes du virus de l'hépatite B (VHB) ?

Le Centre international de recherche en infectiologie (Ciri) va bénéficier d'un fonds de 2,7 millions d'euros sur trois ans pour mener l'ambitieux projet « Hit Hidden HBV » visant à frapper le virus là où il se sent le plus en sécurité : lorsqu'il se réfugie dans le noyau des cellules qu'il infecte. « Le virus de l'hépatite B est extrêmement malin pour mettre en place des stratégies d'évasion », explique David Durantel, co-responsable du programme avec Christine Neuveut (Institut de génétique humaine, CNRS/Université de Montpellier).

L'objet principal des investigations des chercheurs se nomme l'ADNccc, pour « ADN circulaire clos de façon covalente ». Il s'agit d'un brin d'ADN circulaire qui persiste dans le noyau des cellules infectées et qui constitue le réservoir viral. Ce brin joue le rôle de matrice de toutes les transcriptions nécessaires à la réplication virale. Les chercheurs espèrent que son élimination rendrait possible la guérison totale des patients. Les recherches sur l'ADNccc proprement dit seront du ressort de l'équipe montpelliéraine de Christine Neuveut, tandis que l'équipe lyonnaise de David Durantel va se concentrer sur les ARN VHB transcrits à partir de l'ADNccc et nécessaires au cycle de vie du virus.

Il existe déjà de nombreuses données sur l’intégration de l’ADN viral du VIH dans le génome des cellules infectées, mais elles ne sont pas transposables pour expliquer la persistance de l’ADN du VHB, qui elle se déroule de manière non intégrée. « L’ADNccc s’installe dans des noyaux de cellules qui ne se divisent pas et peut donc y rester longtemps, indique Christine Neuveut. On ne connaît pas les raisons de cette persistance. On ne sait pas si le virus ne persiste que dans les hépatocytes ni s’il y reste silencieux. »

De nombreuses particularités du foie seront aussi à étudier, comme le gradient d’oxygénation de cet organe qui, suppose-t-on, joue un rôle sur l’activité du virus. Les données produites seront croisées avec celles provenant d'autres équipes internationales et livrées en pâture à une intelligence artificielle qui sera chargée d'identifier des cibles thérapeutiques et les molécules susceptibles de purger les réservoirs du VHB.

De tels travaux constituent un « pari sur l'avenir », selon les chercheurs, qui espèrent développer à terme une stratégie antivirale innovante ciblant, non pas le virus, mais ses fonctions supports, en association avec d'autres thérapies antivirales comme des médicaments ciblant la polymérase.

Le Ciri, une approche pluridisciplinaire

Fondé en 2013, le Ciri (CNRS/Inserm/Université Claude-Bernard Lyon 1/ENS de Lyon) concentre 500 personnes réparties dans 26 équipes de recherche, rassemblées autour de trois problématiques complémentaires, l'immunologie, la bactériologie et la virologie. De nombreux projets y sont actuellement menés sur la diversité des souches pathogènes, le séquençage haut débit, la biologie cellulaire, l'immunologie innée et l'interaction entre virus et système immunitaire…

Un axe important concerne les hépatites virales avec un programme très fortement implanté à Lyon. « Ce qui nous intéresse, c'est de travailler sur la dimension éco-infectiologique de ces infections et sur le mode de transmission interespèces de tous ces pathogènes », ajoute François-Loïc Cosset, directeur du Ciri. Si l'on a souvent en tête les virus des hépatites A, B, C, D et E, il existe en tout 13 virus hépatotropes répertoriés, dont certains sont émergents.

« Cela fait 50 ans que la recherche fondamentale existe sur le virus de l’hépatite B. Comment amener de la nouveauté dans ce domaine ? s'interroge David Durantel. Nous pensons que la génération de données nouvelles par des approches innovantes et l’utilisation de technologies de "data mining" par l’intelligence artificielle peuvent nous aider à identifier des cibles au sein du cycle de vie du virus », précise-t-il.

Une poignée d’essais de phase 3

Moins médiatisé que le virus de l'hépatite C ou le VIH, le VHB touche tout de même 300 millions de personnes dans le monde, 7,5 fois plus que le VIH. On estime que la moitié des cancers du foie dans le monde sont une conséquence d'une infection par le VHB. Les stratégies antivirales actuelles « permettent de faire passer les patients d'un risque de cancer multiplié par 10 à un risque multiplié par deux, et il s'agit d'un traitement à vie », rappelle Christine Neuveut, soulignant la nécessité de trouver de nouvelles stratégies.

Au niveau mondial, on recense une centaine d'essais cliniques de phase 2 ou 3, dont moins de cinq sont en phase 3. L'une d'elles, prometteuse sur le bépirovirsen développé par GSK, a débuté au mois de mai dernier. La prudence reste cependant de mise : selon les résultats de phase 2b publiés dans le « New England Journal of Medicine » (1), seulement 10 % des patients traités par cet oligonucléotide antisens présentaient une charge virale indétectable au bout de 24 semaines de traitement. Ce taux reste supérieur au faible taux de guérison (5 %) obtenue avec les traitements actuels. « Une autre difficulté réside dans le fait qu'il s’agit d’infections qui touchent le foie, il faut que les molécules soient le moins toxiques possibles », prévient David Durantel.

En France, environ 100 000 patients seraient concernés, avec des incertitudes liées au manque de diagnostic. Tous les patients diagnostiqués ne sont, du reste, pas mis sous traitement : « comme cela se faisait autrefois dans le VIH, les hépatologues ne traitent que les patients qui atteignent un certain seuil en termes de quantité d'ADN viral détectée et de taux de transaminases », explique le Pr Fabien Zoulim (HCL/Université Claude Bernard Lyon 1), coordinateur du programme national « HBV Cure ».

À un horizon d’environ 10 ans, David Durantel espère voir émerger des trithérapies associant antiviraux, immunothérapies et molécules dirigées contre l’ADNccc ou les ARN HBV. « De cette manière, on espère un taux de guérison de 50 % », rêve-t-il tout haut. Des efforts seront aussi nécessaires sur le dépistage : seulement 5 % des malades sont diagnostiqués au niveau mondial.

(1) M. F. Yuen et al, NEJM, 2022. DOI: 10.1056/NEJMoa221002

Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du médecin