Microbiote intestinal

La physiopathologie revisitée

Publié le 27/10/2011
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AUPARAVANT DENOMME flore intestinale, le microbiote intestinal définit le monde vivant microscopique qui habite notre intestin. Le tube digestif héberge 1014 bactéries, soit dix fois plus que le nombre de cellules du corps humain. Et l’on dénombre de 100 à 1 000 fois plus de gènes microbiens que de gènes humains, qui constituent autant de cibles thérapeutiques potentielles. Ces microbes n’habitent toutefois pas tous les mêmes niches, et les espèces diffèrent selon qu’il s’agit de l’estomac, de l’intestin grêle, du côlon, de la lumière digestive ou du mucus.

L’étude du microbiote a connu un essor récent grâce au développement des méthodes d’analyse moléculaire, qui ont permis de s’affranchir de l’écueil des cultures en laboratoire, qui étaient impossibles pour une majorité d’espèces. Désormais, le prélèvement de scratches de mucus, de selles, etc. permet de décrire la biodiversité, et notamment les microbes dominants, tels que Faecalibacterium prausnitzii, mille fois plus fréquent que E. coli, dont des variations sont associées à la maladie de Crohn ou à l’obésité. L’avènement de la biologie moléculaire a ainsi conduit à découvrir tout un nouveau pan de la physiopathologie, jusqu’alors inconnu.

En gastroentérologie, les progrès les plus notables viennent de la recherche sur les maladies inflammatoires chroniques intestinales (MICI). « La piste microbienne avait déjà été explorée avec les cultures, mais nous disposons aujourd’hui d’une description plus précise du microbiote intestinal et de certains microbes potentiellement pathogènes dans certains cas », insiste le Pr Marteau. Dans la maladie de Crohn, la réduction de Faecalibacterium prausnitzii est interprétée comme une diminution de défense.

Le concept de dysbiose.

Des travaux récents montrent que chez les sujets ayant la diminution la plus marquée de ce groupe bactérien, le risque de récidive post-opératoire est augmenté, tout comme le risque de rechute à l’arrêt du traitement médicamenteux. La mise en évidence de cette instabilité du microbiote a conduit au concept de dysbiose : le rapport de force entre différents groupes de bactéries est modifié au cours de certaines maladies. Cela renforce l’idée que des probiotiques, prébiotiques, voire antibiotiques pourraient, en modulant l’écosystème, avoir des effets bénéfiques. Et, parmi les pistes de recherche, celles visant à modifier dans un sens bénéfique le microbiote suscitent beaucoup d’intérêt.

Un autre domaine de recherche porte sur les liens entre le microbiote intestinal et l’obésité. Des études ont montré que le microbiote intestinal diffère chez les sujets obèses et non obèses. Et des travaux expérimentaux soulignent que le transfert de flore de souris obèses vers des souris sans microbiote induit également le transfert de la capacité de rendement énergétique accru observée chez les premières. Les acides gras à chaîne courte jouent un rôle dans ce contexte, mais pas seulement : « le transfert du microbiote inhibe également la protéine Fiaf (Fasting-induced adipocyte factor) qui régule la hauteur des villosités intestinales et module ainsi le rendement énergétique », précise le Pr Philippe Marteau.

Des entérotypes.

Le microbiote intestinal joue aussi un rôle essentiel dans le développement et la maturation du système immunitaire et est ainsi impliqué dans certaines allergies.

« Aujourd’hui, les recherches s’orientent dans deux principaux axes, note le Pr Marteau. D’une part la description de l’écosystème, avec par exemple l’analyse comparative du microbiote dans les selles de malades et dans celles de sujets sains. C’est l’approche écologiste, qui s’intéresse à l’ensemble des causes et des conditions écologiques qui sont associées à une maladie. Et, d’autre part, le démantèlement des mécanismes physiopathologiques à l’origine d’une situation pathologique, réalisé le plus souvent à partir de travaux expérimentaux sur des cellules isolées ou sur des modèles animaux sans germes ».

Il existe une signature microbiotique propre à chaque être humain, mais depuis deux ou trois ans les recherches ont permis de souligner que beaucoup d’espèces – plus précisément 2 à 3 % des espèces qui représentent 70 % des actifs – sont communes. Les dysbioses affectant toujours ce noyau microbien (core en anglais) sont manifestement les plus importantes et concentrent beaucoup d’efforts de recherche.

Des publications très récentes, notamment celle de Nature (1) il y a quelques mois, mettent l’accent sur le concept d’entérotypes. « Nous sommes certes différents les uns des autres, mais on peut distinguer trois grands groupes de personnes en termes de microbiote, chaque groupe étant plutôt associé à telle ou telle pathologie », conclut le Pr Marteau.

*D’après un entretien avec le Pr Philippe Marteau, hôpital Lariboisière, Paris.

(1) Arumugam M, et al. Enterotypes of the human gut microbiome. Nature 2011;473(7346):174-80.

Dr ISABELLE HOPPENOT

Source : Bilan spécialistes